Françoise CHECCA : Les troubles de l’apprentissage : 26/01/2016

Françoise CHECA lyon le 26 janvier 2016

Je viens vous parler des troubles de l’apprentissage, que pour ma part, je préfère nommer difficultés d’apprentissage, j’essaierai de vous en faire entendre la raison. 

En tout cas, il y a maintenant plus d’une décennie que nous sommes passés du cancre et de son bonnet d’âne réfugié au fond de la classe, aux enfants dyslexiques, dysorthographiques, dyspraxiques, puis porteurs « de troubles spécifiques des apprentissages ».

Bien sûr tout ceci, ces glissements sémantiques ne sont pas sans conséquences sur ces diverses manifestations et le statut des différents intervenants, qu’ils appartiennent au domaine du soin ou de la pédagogie. Mais nous pourrons y revenir….

Alors qu’est-ce qu’apprendre ? comment et pourquoi apprenons-nous ?  Lorsque nous apprenons, est ce que nous acquérons seulement des connaissances de plus ? est-ce seulement une fonction qui se met en route ? y a-t-il des « prérequis » à l’acte d’apprendre ?

Etymologiquement apprendre vient du mot appréhender dont la définition peut être :

-comprendre, saisir intellectuellement, par exemple : saisir un problème dans toute sa complexité

-craindre redouter la venue de quelque chose de dangereux, de désagréable.

Cette connivence entre apprendre et appréhender me semble tout à fait intéressante, apprendre pourrait- il être dangereux ?  Marguerite Duras fait dire à Ernesto dans « la pluie d’été » : « je ne retournerai pas à l’école parce que à l’école on m’apprend des choses que je ne sais pas. »

Protestation très pertinente !

L’entrée à l’école pour un enfant tient à la fois d’une inscription sociale et d’une nouvelle inscription subjective :il va devoir en effet quitter la maison, les relations organisées par l’environnement familial, avec des règles pourrait-on dire privées, propre à la configuration de la famille à un collectif avec des règles applicables à tous,  il peut y avoir eu la crèche avant, pourtant même pour ces enfants habitués à ces lieux de collectivité, l’entrée à l’école fait évènement.

 Un enfant n’arrive pas comme une page blanche à l’école, il y arrive avec son propre rapport au monde, qui s’est constitué dans son rapport à ses parents, à ce qu’il a perçu de sa place dans leur désir, demande, attente…place dans l’histoire familiale, dans la fratrie, dans la lignée…

Il arrive à l’école avec son savoir infantile, son savoir inconscient qui peut à la fois faire appui en soutenant sa curiosité mais qu’il doit aussi mettre de côté : le monde n’est pas tel qu’il l’avait imaginé et ce qu’il va apprendre à l’école va en modifier son rapport. Nous retrouvons la protestation d’Ernesto « à l’école on apprend des choses que l’on ne sait pas » et il arrive que l’on ne veuille rien en savoir ! ....

Alors comment se met en route le désir d’apprendre ? dans les passions de l’homme Lacan y mettait l’ignorance, qu’est ce qui nous en détourne ? Freud explique comment un enfant devient un petit chercheur et qu’il se met à théoriser : c’est quand il tente de répondre à la question qui ne manque pas généralement de lui venir à l’esprit : comment fait-on les enfants ? il bâtit alors ce que nous appelons une « théorie sexuelle infantile ». Quand un enfant arrive à l’école il y arrive avec cette théorie.

Un enfant commence sa vie dans un corps à corps avec sa mère, corps à corps vital pour lui, puisque notre prématurité fait que nous sommes complètement dépendant de l’autre les premiers temps de notre vie. Ses ressentis corporels, dans les soins donnés, le nourrissage etc., vont être pris, noués aux paroles que sa mère va lui adresser. Oh ! tu as faim mon bébé, tu as froid … cette excitation corporelle va s’en trouver pacifiée, jouissance du corps qui va se nouer au langage, entrainer aussi le refoulement. Se constitue dans ces premières expériences un savoir, un savoir inconscient lié au savoir inconscient maternel, qui va anticiper et précéder le savoir dont l’enfant deviendra curieux et qu’il s’autorisera à acquérir à partir de sa théorie sexuelle infantile qui en est comme le faire valoir et la permission.

Ce qui rend possible cette mise en route c’est aussi l’hypothèse que fait la mère d’un savoir chez son enfant, la folie nécessaire des mères comme le disait Winnicott, qui conversent avec leurs nourrissons et anticipent moment où il pourra leur répondre.

L’enfant invente sa théorie aussi parce que la mère fait l’hypothèse qu’il est compétent pour en faire une. La mère propose des connaissances à son enfant en refoulant son savoir inconscient.  La théorie est donc élaborée à partir de l’érotisation du corps, avec les réponses signifiantes formulées ou non, reçues aux questions, formulées ou non, qui accompagnent cette érotisation.       

Tout ça peut vous sembler un peu loin de notre propos, mais ce sont des questions que nous retrouverons dans les aléas de l’apprentissage.

En classe l’instituteur fera t- il l’hypothèse que l’enfant est apte à apprendre ? question cruciale de nos jours avec les évaluations et la recherche de troubles le plus tôt possible !

En effet, si les tests disent dyslexie, qui pour faire l’hypothèse que cet enfant va discriminer les lettres et les agencer correctement ?...  

Le problème avec les TSI, c’est que ça marche, elles font fi du manque en tant que symbolique inhérent à l’humain, elles font fi de la castration parce qu’elles sont construites avec les objets pulsionnels et ne tiennent pas encore compte da la différence sexuée sur son versant symbolique. Vous avez le corps, et ses orifices, un enfant vous explique comment une petite graine passe du papa à la maman et on y reconnait les couleurs de l’oralité par exemple : le papa fait un bisou à la maman mais aussi il faut manger beaucoup pour faire un garçon, ou encore et cette fois c’est le regard « ça passe par l’œil et va jusqu’au ventre de la maman (taper dans l’œil au sens littéral du terme !)  Les TSI amènent à la différence des sexes sur le versant réel et imaginaire, il y a un saut à faire pour qu’elle soit aussi marquée par le symbolique.

 Si vous travaillez avec des enfants, vous avez dû entendre comment ceci peut poser problème : à la question quelle différence entre un garçon et une fille, vous avez parfois, les vêtements, les cheveux, ou encore pour les plus grand une façon de ménager la parité : « les filles n’ont pas de zizi mais elles courent plus vite que les garçons. » autrement dit ni fille ni garçon ne manque de rien !

Le manque symbolique c’est accéder au semblant d’objet, lorsque l’on parle de la fonction phallique, du phallus il n’y a pas de correspondance terme à terme, c’est le signifiant du manque, le représentant du manque. Comme le dit Eva Marie Golder « quelle différences plus radicale que la différence des sexes à chacun manque ce dont dispose l’autre ! »

La langue maternelle est venue s’imposer dans ce qui n’était que bruit à la naissance ou durant la grossesse, l’enfant s’est peu à peu engagé dans la parole, l’entrée à la grande école va nécessiter qu’il s’engage dans le langage écrit. !

Grandir pour un enfant se marque par la perte, devenir un petit humain qui parle impose la rencontre du manque et de la limite, entrer dans les apprentissages réactivent ces questions, ou vient mettre le doigt sur ce qui ne s’est pas résolu, ou encore permet des franchissements qui n’avaient pu se faire dans le cadre familial.

Vous avez pu entendre, du moins je l’espère, qu’il y a une différence entre connaissance et savoir, la connaissance a à faire avec la conscience et le savoir avec l’inconscient, l’apprentissage concerne les deux. Savoir et connaissance ne passent donc, pas par les mêmes chemins et le savoir est toujours érotisé, érotisé par les TSI. La question du refoulement est particulièrement présente dans ce qui concerne l’écrit.

L’écriture va venir consommer l’accrochage infantile qui restait au corps de la mère, le dessin concerne le registre imaginaire, la forme, les lettres c’est autre chose.

Un dessin on en reconnait les contours pour voir ce qu’il représente, un mot composé de lettres il va s’agir de le lire.

Je vous relate une histoire que racontait souvent Jean Bergès pour parler de la lettre : Magali, une petite fille de 5 ans écrit son prénom avec un e il lui dit que sa secrétaire ne l’avait pas écrit ainsi, elle lui répond « oui mais ma maman s’appelle Yvette, ma grand-mère s’appelle Jeannette et ma sœur s’appelle Suzette » il reste muet, la petite fille prend le crayon et fait une croix sur le e en lui disant  «  il va falloir faire une croix là-dessus ! » voilà une lettre nous disait-il ! c’est intéressant parce que cette petite fille ne sait pas encore lire, elle ne sait écrire que son prénom pourtant la lettre surgit, nous indiquant son lien avec le savoir insu qu’est l’inconscient.

Lili 8 ans fait de nombreuses fautes d’orthographes, c’en est parfois illisible, l’autre jour elle me parlait de l’école et me disait que l’écriture était une des matières qu’elle préférait, je lui dis « pourtant il y a le problème de ton orthographe » elle me répond « mais moi j’aime le geste d’écrire ! » vous entendez comment l’écriture pour cette petite fille, au demeurant tout à fait intelligente et pertinente, est trop, je dirai, jouissive, elle écrit peut être comme on dessine, son corps y est engagé comme dans le dessin. Bergès disait qu’un enfant de CP écrit quand il cesse d’écrire sur le corps de sa mère, pour Julie ceci persiste. D’ailleurs, très accrochée à son savoir elle a eu du mal à apprendre à lire, son inventivité très vive n’accepte pas de passer par des règles communes.

Récemment elle commence à se donner un peu de peine pour apprendre les règles d’orthographe : pour la première fois me dit sa mère, elle n’a fait que deux fautes à sa dictée ! ça fait suite à deux actes :

  Sa mère a bien voulu la laisser se débrouiller un peu plus seule : je l’avais invité à la laisser trouver sa façon d’apprendre qui n’était peut-être pas la même que la sienne.

  Elle est revenue me voir, alors que nous avions interrompu les séances avant l’été, parce qu’elle avait à nouveau très peur la nuit ne pouvant s’endormir et en empêchant toute la maison par la même occasion !

Sa mère lui avait conseillé d’écrire ses craintes sur des petits bouts de papier et de les mettre dans une boite. Elle a confectionné une boite qu’elle a très vite remplie, boite sur laquelle elle a écrit boite à peur de Lili. Je lui ai demandé de me l’amener, nous avons lu avec difficulté, la cinquantaine de petits bouts de papier, puis je lui ai demandé de me la laisser, D’ailleurs grâce à vous, je me suis aperçue qu’une lettre avait chuté au profit d’une autre en fin de mot, à l’intérieur il est écrit « boite à père de Lili ! »

Il me semble que cette activité, initiée par sa mère, qui la pauvre tente de se débrouiller de toutes ces nuits sans sommeil, peut être entendue comme un geste auto érotique, qui vient bien éclairer sa remarque sur l’écriture. La nuit quand elle écrit c’est bien sur le corps de sa mère qu’elle le fait, dont elle convoque la présence même si elle ne vient pas dans sa chambre.

Pris dans le transfert avec moi, lui demander de s’en départir a aussi des effets sur son écriture à l’école. Je ne peux en dire plus pour l’instant, ni sur la boite à père si ce n’est que bien sûr c’est une des questions de Lili !

Ça nous permet juste d’entendre comment ses acquis scolaires sont intimement liés à son savoir inconscient en lien avec la façon dont s’est noué pour elle corps et langage.

En effet le rapport du corps au langage écrit n’est pas celui du langage oral, il est remanié, réinterrogé au moment de l’entrée dans le langage écrit :

Passer au langage écrit nécessite de renoncer à la voix, l’entrée dans la parole s’est fait avec la voix de la mère, dans un premier temps, puis tous ceux qui entoure l’enfant, pour entrer dans le langage écrit, je dois ne rien dire, c’est aussi ma voix que je perds. Le corps est engagé différemment, il doit être mis « en suspens » dans la lecture, c’est le regard qui balaie la page.

Cette question du corps engagé dans l’écriture s’entend tout aussi bien dans la crampe de l’écrivain que dans certaines douleurs chez les enfants qui vous expliquent qu’ils ont mal à la main au bout de quelques mots.

Perte aussi de ce que l’on prononce ou pas : quand on lit, toutes les lettres ne se prononcent pas, mais quand j’écris je suis obligée de toutes les mettre pour ne pas être taxé de faute d’orthographe.

Il y a des enfants qui n’arrivent pas à renoncer à faire entendre toutes les lettres et qui continuent de les épeler, se barrant ainsi la voie de la lecture.

Les enfants psychotiques, ont souvent du mal à rentrer dans le langage écrit parce qu’ils considèrent la lettre sur un mode imaginaire : les lettres de leur prénom sont leurs lettres et il leur est très difficile de penser que le b de Baptiste sert aussi à écrire bateau !

Une dernière petite vignette clinique sur la question de l’écriture : Coralie a 5 ans, sa maîtresse de maternelle est inquiète par son agitation et l’absence d’intérêt pour les travaux qui préparent l’entrée au Cp de l’année suivante.

Elle confie à l’analyste qui la reçoit qu’elle ne sait pas comment on fait les enfants ce qui l’ennuie beaucoup parce que ça l’intéresse et qu’elle ne sait pas lire mais que ce n’est pas grave parce que sa maman est prof.

Elle écrit fièrement son nom sur son dessin et surprise par la position du point sur le i la psy l’interroge, Coralie lui dit « ah ! mais c’est normal le i fait l’amour avec le l et ça donne le e ! » Logique qui met en effet les points sur les i !

Elle nous confirme en tout cas qu’effectivement, le corps, la lettre, le sexuel ont bien à voir avec les apprentissages !

Je ne peux pas bien sûr vous décliner toutes les façons dont l’entrée dans la lecture et l’écriture peuvent être troublés par la subjectivité d’un enfant et j’en ai certainement oublié ; mais je vais quand même vous donner quelques exemples qui cette fois concerne les mathématiques.

Il faut un peu de temps qu’un enfant se compte comme un, pour ce faire il faut qu’il puisse se décompter, ce sont les tests de Binet, les phrases du genre j’ai trois frère, Pierre Paul et moi.

L’enfant retrouve la même structure dans le comptage que celle de son identification symbolique, ce n’est pas le un unifiant, de la relation spéculaire, c’est le un algébrique, un trait unaire en tant qu’il est une unité et que son inscription réalise une trace, une marque. Nous avons l’habitude de l’illustrer par les encoches faites par les hommes préhistoriques pour compter leur chasse, une puis une autre leur seule différence étant leur ordre d’inscription, tandis que s’efface la nature même de la chasse, antilope, mammouth. Peu importe !

Les enfants peuvent parfois s’empêtrer dans une façon de compter qui ne prend pas en compte, justement, ce registre symbolique : c’est le petit garçon de CP qui s’obstine à compter les pièces dessinées sur son fichier de math ne lâchant pas l’image pour s’intéresser au nombre d’euros qu’elles valent. C’est-à-dire à lâcher l’image pour le symbole représenté par la marque qu’elles portaient.

La question des maths met l’accent sur l’abstraction, une valeur qui n’a rien à faire avec la représentation de l’objet compté par exemple : pour compter 5 moutons il ne faut pas qu’il y en est un qui compte plus que l’autre !

Etre compté élève dans une classe de 30 implique que ce comptage inclue la singularité de chacun sinon on fait le clown pour être re-marqué !

Je vais juste reprendre l’exemple dont j’ai extrais tout à l’heure les filles n’ont pas de zizi et c’est pour cela qu’elles courent plus vite que les garçons.

Il compte ainsi : 3+8=5 « j’ai mis 3 dans ma tête je compte sur mes doigts, 4,5,6,7,8, j’arrive à 8 ça fait donc 5 »

Il calcule de façon incessante la différence de valeur entre deux nombre quel que soit l’opération demandée !

Par analogie avec la différence sexuelle la psy qui le reçoit lui demande la différence entre un garçon et une fille et il lui fait donc cette réponse ! pas de moins pas de plus pas de différence !

Quelques mots de conclusion avant de prendre le temps de discuter.

Un enfant n’apprend pas à parler, il entre dans une langue ce qu’on appelle la langue maternelle, dans un échange avec sa mère, son père …il va y acquérir un statut, une place ; dans le meilleur des cas il pourra s’y compter comme sujet.

Comme j’ai tenté de vous le dire, il va y acquérir un savoir indépendant de toute connaissance que l’enfant pourra en avoir.

Cette langue qu’il n’a pas apprise, on ne voit pas un petit pointer du doigt une table et nous dire ça, ça se dit bien table, à l’école on va lui demander d’y entrer de façon nouvelle du côté de la connaissance cette fois, et ça passe par le langage écrit.

Ces connaissances peuvent tout à fait venir menacer le savoir qu’il a constitué, c’est ainsi qu’il peut être dangereux d’apprendre.

Apprendre nécessite que se noue connaissances et savoir, et il me semble que si l’on veut tenter de comprendre un peu le processus d’apprentissage, il faut garder à l’esprit cette distinction.

Les progrès de l’humanité sont destinés pour l’ensemble à combler le malaise qui nous est propre, malaise dans notre rapport à nous même, et avec le monde.

Nous l’avons vu, les TSI, les premières constructions de l’enfant surgissent d’un inconfort : le sentiment de jalousie.

Autrement dit nous n’apprenons pas dans le confort, ce qui vient à l’encontre du discours du moment, qui tend à réduire la tension liée à la limite, l’impossible, à boucher avec tous les objets que nous avons à notre disposition, le trou lié à notre condition de « parleur » !

D’ailleurs une enquête datant de quelques années qui demandaient aux parents ce qu’ils attendaient de l’école, a donné une réponse assez unanime : ils demandaient à l’école d’assurer le bien-être au présent de l’enfant et qu’elle ne trouble pas la quiétude familiale !

Pourtant si les difficultés liées à l’apprentissage sont semble- t-il plutôt en hausse ces dernières années, les enfants sont vifs et intelligents, peut-être que les conditions actuelles ne les aident justement pas à nouer savoir et connaissance, ni à se départir de la nostalgie de la façon dont on entre dans la langue maternelle ?

Notre travail, pour ceux qui s’occupent d’enfant, consiste à les accompagner dans leur inventivité pour s’en débrouiller mais sans annuler le fait qu’apprendre à un coût, nécessite que l’on consente à la perte qui peut se décliner de différentes façons comme nous l’avons vu dans les vignettes cliniques.