Philippe CANTIAGO : Fausses notes dans les institutions.

 

Fausses Notes dans les institutions

J-L. De Saint Just. Je propose qu’on commence. Alors, j’ai, j’ai, j’ai un… Un grand, grand plaisir ce soir [bonsoir] d’accueillir heu… A Lyon, dans le cadre des études pratiques de psychopathologie, Philipe Candiago. Heu… On sévit ensemble depuis quelques années. Son invitation participe aussi de… Du souci qu’on essaye d’avoir de… D’ouverture. C’est-à-dire que dans ce cadre de ces études pratiques de psychopathologie, qui bien entendu s’inscrivent dans le cadre de l’association Lacanienne Internationale, et bien il n’y a pas nécessairement que des psychanalystes qui peuvent venir parle de leur pratique, de leur expérience, de leur travail d’élaboration … Ceux qui suivent ces conférences vous avez pu entendre … Là récemment il y a deux infirmiers en psychiatrie qui ont pu parler de leur pratique, y’a une pédagogue aussi qui est venue parler de sa pratique et l’année prochaine, dans le cadre des enseignements qu’on organise, on essayera d’associer la lecture psychiatrique et la lecture psychanalytique aussi, faire croiser différents champs. Cela dit la référence à la psychanalyse et à l’enseignement de Lacan est pas du tout… Et on verra Philippe, hein, puisqu’il est membre de l’ALI, qu’il a suivi le cursus de l’EPHEP, l’école des hautes … des hautes études, merci, hautes études en psychopathologie à Paris, voilà, merci !

P. Candiago. Ecole pratique…

J.L. DSJ. Pratique, voilà, tout à fait… Alors, vous dire, je fais toujours les annonces en début, parce qu’après heu… On est pris dans les discussions et tout le monde se lève et personne n’entend les annonces, donc vous dire que ce ne sera pas la dernière conférence de l’année, puisqu’on aura de plaisir d’accueillir le mardi 22 mai le Dr Jean Luc Cacciali, qui exerce à Grenoble et qui viendra parler de cette question, le désir est-il toujours autre ? Toujours dans le cadre de la thématique de cette année, qui est la psychopathologie de la vie collective. Du coup ça me permet de vous annoncer que l’année prochaine, ce cycle de conférences aura un autre thème, on change tous les ans, et on essaiera d’accorder là aussi quelque chose qui est très d’actualité que sont les pathologies de l’identité. Y compris les pathologies de l’identité d’un point de vue collectif. Le retour des nationalismes en faisant parti. Voilà. Et vous dire aussi, et j’en finirai sur les annonces, vous dire aussi que le… Alors pour les conférences de l’année prochaine, je vous invite, comme pour cette année, à consulter, ceux qui ne reçoivent pas la newsletter peuvent s’y inscrire, à consulter le site de l’ALI où régulièrement on diffuse l’information généralement un mois à l’avance… Vous dire aussi que… Il y aura proposé une autre date dans le cycle de conférences de cette année, qui est le 26 juin, cette fois, pas au CNAM mais, dans les locaux de l’ALI Lyon. Et heu… ce qui est proposé à cette occasion, le 26 juin, c’est que pour ceux que ça intéresse, qu’on puisse se retrouver pour faire un retour sur les conférences. A la fois que vous puissiez en dire quelque chose mais aussi revenir sur des questions qui auront été abordées sur les conférences, parce que vous savez bien à chaque fois, on vous invite à poser des questions à faire des remarques, éventuellement des objections heu… Liées aux différentes interventions. C’est pas évident comme ça de pouvoir poser sa question sur le moment et comme vous le savez bien souvent c’est après coup que les questions nous viennent, le lendemain, deux trois jours après puis l’intervenant n’est plus là. Et bien c’est… Là c’est un petit peu se donner l’occasion, alors je n’inviterai pas tous les intervenants, mais se donner l’occasion, collectivement, de revenir sur des questions qui ont été abordées et d’avoir la possibilité des retrouvailles avec les personnes qui sont là. Donc c’est un moment un peu plus convivial, hein, où chacun peut dire : « voilà, telle conférence, ce qui m’a semblé important, intéressant ou sur lequel, sur tel point j’étais pas d’accord », parce que bien entendu, l’intérêt que ça peut avoir c’est aussi de pouvoir… Manifester ses désaccords, ses objections à ce qui a pu être avancé. Voilà, j’en ai fini de mes annonces. Heu… Je sais pas si tu vas nous parler musique mais tu as intitulé ton intervention fausses notes.

P. C. Tout à fait.

J.L. DSJ. [Rires] Voilà, je te laisse la parole.

P. C. Avant de commencer j’aimerai d’abord remercier Jean Luc de… De ton invitation. Je suis très heureux d’être avec vous. Je suis impressionné aussi, je dois dire, parce que je ne suis pas… Je ne suis pas conférencier et… Donc, je vais parler à partir de mon expérience dans quelques institutions, mais aussi de ma place de citoyen lambda, hein… Donc effectivement, je t’avais donné comme titre fausses notes et tu as rajouté dans les institutions. Ce qui permet, je pense de préciser le cadre de mon intervention. Et ce qui peut nous faire penser aussi, nous faire croire, que ces fausses notes pourraient être quelque chose de… De problématique. Quelque chose éventuellement à corriger, quelque chose qui pourrait porter dommage aux institutions. Heu… Je prends les choses à partir de ce point-là parce que… J’ai amené deux petits bouquins qui sont… Vous avez un bouquin récent de Jacques Ascher, L’Eden Infernal, et quelque chose d’un peu plus ancien, peut-être plus difficile à trouver, Malaise Dans La Modernité, notamment avec un article de Charles Melman, une conférence de Charles Melman qui parle d’une nouvelle morale. Donc, cette erreur, ces erreurs on pourrait penser qu’elles portent dommage aux institutions.

Peut-être avez-vous eu l’occasion de côtoyer des personnes qui ont développé un sens aigu … Du dépistage de la faute chez les autres. Hein, de l’erreur, de… Du défaut qui très facilement peuvent être lues comme des manquements. Donc une attention portée aux erreurs qui viennent de l’extérieur. Qui peuvent pourquoi pas s’articuler à une anxiété par rapport à quelque chose qui serait à l’intérieur, hein. Par exemple des oublis qu’on peut faire, des actes manqués, des trucs comme ça, on sait pas trop. Et il y a comme ça ce mécanisme assez banal, assez ordinaire de mettre à l’extérieur ce qu’on ne voudrait pas voir à l’intérieur. Par exemple d’essayer de demander à cet autre qu’il se présente de façon entière, inentamée, sans défaut, peut être comme ça pour se garantir contre notre propre faille. Des choses comme ça. Pour prévenir notre propre faille. Puisque je crois que la prévention est une tentative de corriger les erreurs par anticipation.

Alors, je vous disais que j’allais parler à partir d’une expérience dans le champ social, des institutions sociales. Et ces institutions sociales, comme bien d’autres avants elles d’ailleurs, heu… Sont devenues le lieu d’expression de pas mal de protocoles. Les protocoles sont une façon de... De prévenir, de se prévenir de quelque chose, hein, par une forme de prescription. Une prescription par anticipation. Ce qui permet de faire des guides de bonnes pratiques professionnelles. Donc, un guide pour nous éviter de se tromper, de faire des bévues. Alors comme nous sommes néanmoins des comiques, notamment, nous essayons de faire porter cette prévention sur ce qui est appelé les faits indésirables, dont on entend très bien, très facilement que, ces faits indésirables sont éminemment des manifestations du désir. Des manifestations qui viendraient altérer quelque chose de l’ordre de l’image ; puisqu’avec les protocoles, il y a une attention tout à fait importante portée à l’image. A l’image de l’institution, à l’image de ceci, une image qui ne souffrirait pas d’être écornée.

Alors, dans la petite introduction que tu m’as demandé Jean Luc, j’ai noté que ce que nous appelons le tissu institutionnel, dans notre tradition est le refuge des métiers dits par Freud impossibles. Alors, quelle est la particularité de ces métiers ? Pourquoi la fleuriste, le boulanger n’ont-ils pas un métier impossible ? Qu’est-ce qui diffère entre la fleuriste et le médecin, par exemple ? Les deux s’articulent bien d’une demande. Je crois qu’on peut dire ça. Il me semble que la différence entre ces deux métiers, réside dans la nature de l’objet qui est mobilisé, les métiers impossibles articulant cette demande à un objet qui est absent du champ de la réalité, avec un effet de cette absence, de ménager une place au sacré. Ça ménage une place au sacré, comme ça ménage une place au sujet, on pourrait dire, ça ménage une place à l’inconscient. Cette place du sacré, cette place de l’inconscient, ce que je vous propose de mettre à la discussion, c’est peut-être la même. Alors cet inconscient, Lacan il a une belle formule dans les Ecrits, je sais plus où c’est, hein, je l’ai noté puis après je sais plus trop où je l’ai péchée, je sais que c’est dans les Ecrits : « L’inconscient c’est cette part du discours concret qui fait défaut au sujet pour rétablir la continuité du discours conscient ». C’est pas mal comme formule. Et donc cette dimension sacrée, l’histoire l’atteste, puisque ces métiers impossibles, dans un premier temps, ce sont bien les gens d’église qui en ont pris la charge. Avec un bémol pour le pouvoir puisque très rapidement ça a fait un petit conflit entre le pouvoir divin et le pouvoir séculier.

Notre fleuriste, elle n’a pas ce type d’embêtements, elle a pas le type d’embêtements du médecin puisqu’il ne viendrait à personne de lui demander ce qu’elle n’a pas sur son étal. Bon, je dis ça, vous entendez, c’est une bêtise, hein puisque [rires] on peut tout à fait lui demander autre chose mais l’échange marchand, lui, il porte bien sur une satisfaction liée à un objet qui est présent dans le champ de la réalité. Même si la fleuriste, bon d’accord. Un objet qui est présent dans le champ de la réalité mais en même temps un objet imaginaire, parce qu’on voit bien que ce type d’échanges se relance toujours. C’est-à-dire que cet objet, même s’il est présent dans le champ de la réalité, c’est un ersatz ; c’est d’ailleurs cette qualité qui en fait le moteur de la croissance dans une économie de marché.

Alors, quelque chose se passe, me semble-t-il, dans les institutions, dans nos institutions, qui fait que ces métiers impossibles n’y trouvent plus de domicile. Ce quelque chose prend la forme, il prend plein de noms différents : management, protocoles, traçabilité, ‘harmonisation sans uniformisation’, référentiels, etc. Et ce qui peut nous surprendre c’est que ce quelque chose ne cesse de se déployer, alors qu’il est vertement contesté. Un peu comme si, cette contestation aussi véhémente soit-elle, ne lui portait pas contradiction.

Alors, j’évoquais ce propos de Melman tout à l’heure. La question que je vous soumets ce soir est celle-là : Les développements actuels qui traversent les métiers impossibles sont-ils les mêmes que ceux qui organisent notre lien social ? Est-ce que ce sont les mêmes effets de discours ? Puisque le lien c’est du discours, c’est du semblant. Cette nouvelle morale… Alors, une morale vous savez ce que c’est, hein ? Bon, très rapidement, c’est quelque chose qui s’établit au nom du bien, c’est rarement pour le mal qu’on se tourne vers la morale, éventuellement un bien universel. Et c’est ce qui vient organiser notre façon de vivre, de naître, notre façon d’aimer, notre façon de travailler, notre façon de mourir… Une morale en quelque sorte ça vient autoriser et restreindre notre accès à la satisfaction.

Quelle est la promesse de cette nouvelle morale dont parle Melman ? Il en situe trois, je vais m’arrêter juste sur une. Les deux autres, je vous les cite comme ça rapidement : l’égalitarisme, c’est une des promesses, et l’approfondissement de la démocratie par le marché. Ces deux-là je les mets de côté et… Pour m’arrêter sur la première. Une promesse qui s’articule au détachement de la figure paternelle. Cette promesse c’est un accès au bonheur. Un accès au bonheur qui se déduirait, qui se déduit de la satisfaction de nos besoins. De la satisfaction de nos besoins en tant que la demande en expliciterait la véracité. Ce n’est pas la même question, ce n’est pas le même bonheur que celui d’Aristote, ce n’est pas un bonheur articulé par un discours droit, ce n’est pas une discipline du bonheur. C’est un bonheur par la satisfaction des besoins. Le problème que nous pressentons tout de suite, d’ailleurs, est ce que c’est un problème ? Ce n’est pas sûr. Le point qui fait un peu… Qui nous fait un peu vaciller, c’est que pour nous, pour l’homme il n’y a pas de satisfaction naturelle de nos besoins. La propriété de nos besoins, d’être articulés au registre de la demande, c’est d’en réclamer toujours plus. Toujours davantage. C’est jamais suffisant. Et c’est jamais suffisant parce que une demande elle porte sur différents trucs, notamment elle est chargée d’une demande d’amour. Vous voyez ce truc, ballot, bêta, qui nous accapare l’existence, qui nous mène, etc.

Alors, je vous disais que cette morale supposait un désengagement de l’amour paternel. Je voudrais juste une remarque latérale sur cette question du père. Parce que quand on parle du père on en parle aisément à partir de la question de l’interdit, le père comme interdicteur. C’est une façon… C’est pas une très bonne lecture. C’est une lecture… c’est une façon de vivre la loi un peu de façon écrasante, sur un mode un peu écrasant, un peu, un peu immobilisant, cette loi. Si le lieu du père est bien celui de l’inter-diction, si le père il git dans la césure des mots, ce qu’il formule le père, est aussi une autorisation, c’est pas une prescription, juste une autorisation, une simple autorisation. Une autorisation qui fait entendre que tout n’est pas écrit. C’est-à-dire qu’il y a au-delà du texte, aussi bien, un au-delà de la demande, et cet au-delà de la demande ménage aussi un en deçà. C’est-à-dire quelque chose qui fait défaut, qui fait défaut au texte, c’est pour ça peut être pouvons-nous dire que le père est le représentant de ce qui dans la parole, fait défaut à la continuité du discours conscient. Il n’y a aucune nécessité d’y mettre une figure imaginaire. Alors bien sûr, il y a le père dans la réalité qui vient témoigner en quelque sorte de quoi ? Que ce défaut peut très bien se mettre au service de la sexualité, peut-être voir même que ce défaut et la sexualité c’est quelque chose de très, très intriqué. Au service du sexuel. Un au-delà donc, qui a la faculté de ménager la possibilité de désirer, parce que si il n’y a pas cet au-delà de l’écriture, si y’a pas cet au-delà du discours conscient, cette possibilité de désirer est… On est un peu embêté. Aussi bien le père on pourrait dire qu’il est dans la langue. Il est dans la langue elle-même. L’autre jour j’ai entendu une jolie définition du désir : « le désir c’est ce qui déchire la demande du besoin ». C’est pas mal comme heu…

Alors cette nouvelle morale, elle prône la liberté, elle prône la satisfaction, le bonheur par la satisfaction de nos besoins, ce n’est pas sans restriction, ce n’est pas sans empêchement mais c’est une restriction qui mobilise moins l’interdiction que la prescription. Vous connaissez la différence entre ces deux régimes. Entre l’interdit, le régime de l’interdiction en droit, il y a peut-être des juristes parmi vous : tout ce qui n’est pas interdit est autorisé, le régime de la prescription : tout ce qui n’est pas autorisé est interdit. C’est pas tout à fait la même chose. Et cette restriction, elle trouve appui sur la gestion, sur la saine gestion. C’est pas la sainteté, c’est… On passe de la sainteté au sanitaire. La saine gestion qui vient en place des devoirs et des obligations d’hier. C’est-à-dire une morale ordonnée avec un calcul. Ordonnée par un calcul. Ce n’est pas un commandement, ou dix, juste un calcul. Pas besoin d’un énonciateur, voir même s’il y a un énonciateur pour endosser le truc, ça peut le faire capoter. Alors, il y a eu dans un certain protestantisme, l’idée qu’il serait pas mal d’écrire ce qu’on allait faire et de faire ce qu’on avait écrit. Cette petite maxime de l’éthique protestante, Max Weber en a fait… l’Esprit du capitalisme. Si vous vous amusez à la taper sur Google cette petite maxime, vous ouvrez des pages, sur internet, et ces pages c’est quoi ? Ce sont des pages sur la démarche qualité et les normes ISO. Tout de suite, première page, normes ISO, démarches qualités. La démarche qualité qui est une façon assez comportementaliste d’envisager une pratique. Il me semble qu’il y a une affinité entre cette morale, cette nouvelle morale, et une approche comportementale de l’homme. La gestion, ce qu’on appelle la gestion, présente une affinité avec une forme de naturalisation de l’épistémologie, c’est-à-dire une restriction qui est portée sur cette question : « Qu’est-ce que la science » ? En arrière-plan de cette saine gestion, il me semble qu’il y a cette idée d’une continuité possible entre la connaissance commune et la connaissance scientifique.

Alors, bon, je poursuis, pourquoi les contestations de cette idéologie ne lui font pas contradiction ? Elles n’arrêtent pas de s’allumer. Elles ne sont pas sans effets les contestations de cette morale. Mais elles ne lui portent pas contradiction, ça ne veut pas dire qu’elles sont sans effet. Puisque des effets il y en a, puisque ces manifestations ces… Ces contestations me semblent réveiller les maîtres de la religion, ou les maîtres du nationalisme, donc des alternatives pas très sympathiques quand même, voire pire que pas très sympathiques. Dans le malaise de la politique ordinaire, on l’a vu aux dernières élections, qu’est ce qui s’est passé aux dernières élections ? Il y a eu des primaires, y’a eu un type à droite qui a été… qui a gagné les primaires, aussitôt déclaré vainqueur, il a été condamné parce qu’il manifestait quelque chose de son gout pour les attributs du pouvoir. On le lui a reproché… Voilà. De l’autre côté, à gauche, y’a un type qui lui aussi a gagné les primaires, contre toute attente, ce qui est intéressant c’est que, les maîtres qui étaient en en mesure d’emporter ces primaires à gauche comme à droite ont tous été battus. De chaque côté c’est un outsider qui gagne. Côté gauche, celui qui emporte les primaires, il a été balayé parce que lui, il n’avait pas gout pour les insignes du pouvoir. Et à l’arrivée, y’a eu une opposition entre un candidat d’extrême droite, nationaliste, et puis ce candidat du nouveau monde comme on dit, d’un monde nouveau, pragmatique. A l’arrivée de ces luttes où le maître est contesté parce que… On croit qu’il est contesté parce qu’il est trop maître, en fait il est contesté parce qu’il l’est pas assez. Du coup, il est contesté, il en faut un plus fort, un plus honnête, un plus gentil aussi, et à l’arrivée il y a un gestionnaire. Il y a cette doctrine qui accompagne la construction européenne, l’ordolibéralisme. C’est un prolongement scientifique de l’éthique puritaine. Cette philosophie économique apparait pas n’importe quand ni n’importe où, dans les années 30, en Allemagne. Un économiste, Walter Eucken et deux juristes, Franz Böhm, excusez-moi pour l’accent, et Hans Grossmann-Dœrth, ils s’inquiètent de la montée du nazisme et ils se posent cette question : De quelle façon est-ce que la rationalité économique pourrait faire obstacle à cette tendance de la politique à conduire à la dictature ? Ça part d’une idée du bien. Ce sont des humanistes les trois en question. Le père de Walter Euken était philosophe, prix Nobel de littérature en 1908 et Walter Euken, est très tôt rentré dans la résistance contre les nazis. L’ordolibéralisme c’est ce qui s’est imposé dans la politique en Allemagne et qui accompagne la construction européenne, c’est-à-dire un transfert de l’arbitraire de politique vers un calcul.

Lors une conférence qu’il a tenu au printemps 2016, J-L. Cacciali, donc qui viendra vous voir au mois de mai, c’est ça ? Il est psychanalyste, il exerce à Grenoble. Il avait pris pour titre de sa conférence ce propos de Lacan : « La science est une idéologie de la suppression du sujet ». Pas un discours, hein, une idéologie. Suppression c’est pas rien comme terme. Ce n’est pas simplement une mise à l’écart, ce n’est pas un refoulement. Et des fois quand je sors de quelques réunions, fatigué. Fatigué par quoi ? Par l’ennui. Des réunions où il ne se passe rien d’autre que des échanges informatifs, de la communication, je dirais que cette formule de suppression du sujet est plutôt bien vue. Juste des énoncés. Pierre Marey-Semper, il n’est pas psychanalyste, il est consultant en organisations, il a créé une Start Up. Il écrit un article dans la Revue Le Débat – « L’alangage ou le silence des mots ». Lui il l’écrit « L » apostrophe – alangage ». Il évoque la langue des experts comme : « le maniement de mots neutres, injustement appelé mots clés, alors que précisément ils n’ouvrent aucune porte ». Cette nouvelle morale, j’espère que j’ai réussi à vous le faire sentir, cette nouvelle morale est arrimée me semble-t-il à cette idéologie de suppression du sujet. De vouloir, par l’écriture, alors accéder, révéler, rendre… Annuler. Je ne sais pas quel terme convient le mieux, cette part du discours concret qui fait défaut… Voilà la continuité du discours. Avec quelle interrogation J.L. Cacciali conclut-il sa conclue-t-il sa conférence ? Il la termine avec cette remarque de Lacan : « qu’à ce réel, il n’y a pas de rapport sexuel ». Il nous dit, l’hystérique, elle substitue à cette formule une autre formule qu’il n’y « pas encore de rapport sexuel ». Et il précise que l’important de cette proposition ne réside pas dans le « pas » mais dans le « encore ». Ce pas encore qui rend d’une certaine façon très proche, même si cette plainte hystérique aujourd’hui conteste le maitre de la science, y’a une proximité entre l’hystérie et la science sur le « pas encore » de rapport sexuel. Je crois que nous pouvons garder ce point à l’esprit, parce que y’a ce point qui accompagne l’hystérie collective, les manifestations d’hystérie collective, et le vœu de la science sur ce « pas encore ».

Donc adossée à l’idéologie de la science, il y une morale, qui associe une satisfaction directe des besoins avec une restriction par la gestion. Une morale qui favorise l’économie de marché puisque cette économie donne la primauté aux besoins. Et cette morale sollicite des mouvements d’hystérie collective qui produisent de la contestation mais pas de contradiction. Alors, pourquoi est-ce que ça ne vient pas faire contradiction ? Pourquoi ça vient pas contre-dire ou contradicter ? C’est que, ce qui est contesté, le management, la gestion et la contestation en tant que telle sont inscrites dans cette morale. Elles sont inscrites dans cette morale parce qu’elles mobilisent des signifiants de cette morale. Pour faire court la gestion comme la réponse aux besoins sont passés dans les mœurs, sont passés dans la langue. Nous entendons les parents gérer leurs enfants, les amoureux gérer leurs émois, les patients leur santé et dans ce champ institutionnel dans lequel j’interviens, dans lequel je travaille, vous ne trouverez plus grand monde, pour s’étonner, pour émettre éventuellement quelques réserves sur l’engouement collectif en faveur de la réponse aux besoins. C’est-à-dire que cette morale, nous y sommes inscrits, y compris quand on la conteste. Quand on en conteste un des effets qui est le management. Et bien ces signifiants que nous formons pour nommer notre monde, ces signifiants que nous avons adoptés, pour lui donner une forme intelligible, pour lui donner du sens. Un peu comme quand Adam nomme les… Les trucs que Dieu lui envoie là, au début de la Genèse, et bien ces mots nous reviennent avec une force de commandement. Pas un commandement impératif, un commandement, en cela que pour nous orienter, nous n’avons pas d’autres moyens, que les mots que nous avons mis à notre disposition. Récemment, deux responsables d’établissement s’engueulent : Y’en a un qui dit « on est là pour la satisfaction de nos équipes ». L’autre il dit « ben non, pas du tout, on est pas là pour les satisfaire ». Et donc le débat, la discussion… Mais ils oublient un point dans leur discussion. C’est que pour qu’elle puisse avoir lieu, cela suppose que cette satisfaction soit possible : il y en a qui voudront la donner, il y en a qui vont dire « non, non, pas du tout » mais que cette satisfaction est possiblement disponible, ils sont d’accord à là-dessus.

Dans le service que je dirige, comme tout le monde, on a un projet de service. Et comme tout le monde, dans le cadre de l’amélioration continue de la qualité, il est régulièrement relu et cette relecture est source de conflit. Sur quoi porte le conflit ? Pas sur le contenu, il porte sur la structure du texte, sur la syntaxe, il porte les conjugaisons. Un texte trop littéraire, un texte trop difficile à lire, un texte qu’il faut simplifier. On se souvient d’un président qui estimait que… Y’avait des lectures qui n’étaient plus très utiles, comme la Princesse de Clèves. Un autre a milité pour le choc de simplification. Le point qui fait difficulté, c’est que la lecture est susceptible d’être interprétée. L’idée est de parvenir à un texte qui ne prête pas à l’équivoque. Alors pourquoi cet espoir ? Certes pour éviter les erreurs d’appréciation, les fautes, les fausses notes ! Pour éviter les malentendus mais pas seulement, parce que si on arrive à éviter les fausses notes, si on arrive à corriger toutes ces erreurs, ça permet une application qui ne serait pas altérée par une subjectivité. C’est-à-dire, une interchangeabilité. Qu’on puisse changer de personnel sans que ça vienne modifier quoi que ce soit dans la continuité du texte.

Alors, il s’agit d’une ambition, je ne dis pas que la science parvienne à suturer le Réel. Pour preuve, petite preuve sympa, donc on a des réunions, tout le monde s’engueule et qu’est ce qui se passe ? A la fin de la réunion les gens sont très contents, ils sont très joyeux : « Qu’est-ce que c’est agréable de discuter sur la langue, sur les verbes, sur les conjugaisons, d’essayer d’arriver à trouver… ». Et ils sont très joyeux quand ils sortent de ces réunions. Le texte n’a pas bougé, tout le monde s’en fou en fait et ça c’est une surprise.

Alors vous allez peut-être me dire, et la musique là-dedans, puisque fausses notes, j’y viens à la musique. J’essaie d’en jouer du jazz, pas facile ! Bon, en soi n’est pas très intéressant. Mais juste une petite vignette que je voudrais vous conter. Ça a un rapport avec le titre. Donc j’ai un prof de musique, j’ai un peu de bol, c’est un musicien. Tous les profs de musique ne sont pas nécessairement des musiciens. Donc, c’est un type qui fait des concerts, qui coure le cachet, tout ça. Un jour on joue un morceau et je fais une fausse note. Vous voyez, déjà quand je dis que je fais une fausse note, on peut penser que c’est ma note, c’est ma fausse note ? elle est à moi. Vous voyez ? Moi j’ai fait une fausse note, je peux me l’approprier, je peux… Elle m’appartient cette fausse note. Elle vient de moi en tout cas. Je suis pas obligé… Je peux l’endosser, ou alors je peux dire « de toute façon c’est l’instrument qui déconne ». Mais comme je suis encore suffisamment névrosé, qu’est ce que je fais quand je fais une fausse note ? Ben je m’arrête de jouer pour la corriger. Normal. Alors il me regarde et il me dit :
♣ « Tu fais quoi ? »
Moi je reste un peu pantois et il me dit :
♣ « On s’en fout des notes quand on fait de la musique. On n’en a rien à faire des notes ! Quand on joue, les notes ça n’a aucune importance, l’important c’est la structure ».

C’est pas mal comme… Hein ? C’est-à-dire, ce qu’il appelle la structure c’est le rythme bien sûr mais aussi les intervalles, les failles, le vide entre les notes en quelque sorte. Maïmonide, au 12ème siècle il me semble, philosophe, il s’interroge sur la forme. C’est une question ancienne, vous voyez, c’est pas un truc récent. Et il dit : « la forme c’est une affaire de corps, des corps qui se rapprochent, qui s’éloignent […] » Ceci dit, cette action que les corps reçoivent les uns des autres, ce n’est pas suffisant, ça ne suffit pas, il faut un efficient. C’est-à-dire quelque chose qui donne la forme. Et Maïmonide, il nous dit … Il est comme mon prof de musique, il dit : « cet efficient, c’est une forme vive ». Une forme sans matière. Il aurait pu faire du jazz Maïmonide. Charlie Parker, grand musicien de jazz. Alors, il faisait des fausses notes, ça lui arrivait assez souvent. Ces fausses notes il les ne corrigeait pas, il ne les escamotait pas, il y revenait, il insistait dessus, il s’appuyait sur son lapsus. Charlie Par… Parker, pardon, « par terre » [rire] il a institué quelque chose dans le jazz avec ses lapsus.

Alors, tout à l’heure j’évoquais Adam. Alors pour terminer je vais vous parler d’Adam et de sa copine. Lacan, s’est intéressé à la faute d’Eve, dans l’éthique de la psychanalyse, notamment. Il nous dit que cette historiette, à laquelle il s’intéresse, n’est d’intérêt : « qu’à la seule condition d’être signifiante, introduite par le père ». Alors, il y a un avant et un après la faute d’Eve. Il y a un avant et un après l’acte d’Eve.

Avant la faute, nos deux amis, qui ne sont pas encore nos deux tourtereaux, ne sont pas dénués de jugements, Ils sont rationnels, ils sont capables de juger du vrai et du faux ; du permis ou de l’interdit, des oppositions très actuelles. Adam et Eve, vous savez, ils n’ont qu’à profiter, ils n’ont qu’à se servir pour satisfaire leur demande, sauf d’une exception : l’arbre du fruit de la connaissance du bien et du mal. Et puis, bon c’est encore une femme, il y la transgression d’Eve, la fausse note, dans cet univers, dans ce jardin d’Eden, elle mange le fruit, elle en donne à Adam qui le mange aussi. Et dans ce moment, dans ce même moment où elle le mange, elle porte un nouveau type de jugement, un jugement sur l’arbre. Elle a mangé le fruit parce que l’arbre était beau. Un jugement esthétique, le premier jugement esthétique nous dit la Torah. Un jugement qui n’est pas simplement un jugement rationnel mais un jugement articulé à un sentiment. Un jugement sur le beau qui situe un nouveau type de problème, celui du bien et du mal. Le texte, biblique n’oppose pas le bien et le mal, il les associe : « pas l’un sans l’autre ». La Torah, puisque c’est dans ce texte que je suis allé chercher ce… La torah nous propose une bascule par rapport à ce qu’il est communément admis : que le ratio serait second du logos. Dans le texte, le texte prend le contrepied de cette… De cette affirmation, il prend les choses autrement puisque c’est au moment de la faute que raison et affect se nouent. C’est au moment de la faute que le logos devient prévalent. Freud reprend ce point, quand il souligne que la raison, c’est dans l’Avenir d’une illusion, je sais plus comment il le dit : « la raison c’est sa nature, c’est dans sa nature de ne pas négliger de donner aux sentiments toute leur place, toute la place qu’il leur est due. » C’est en s’articulant aux affects que la rationalité devient raison, c’est-à-dire que le ratio devient logos.

Alors, si je poursuis avec Adam et Eve, très rapidement : Du fait de cette transgression Adam et Eve acquièrent un savoir. Le texte nous dit : « leurs yeux se décillent à tous deux et ils connurent qu’ils été nus et ils éprouvèrent de la honte et ils allèrent chercher des feuilles pour se couvrir ». Vous voyez ? On passe de la connaissance au savoir et dans le même moment où il y a cet accès à ce savoir, dans le même mouvement, il y a la mise en place d’une pudeur et d’un érotisme, avec ce jeu entre voilement et dévoilement, entre le signifiant et le corps. Lacan il dit quelque chose d’assez extraordinaire : « la nudité n’est pas un phénomène naturel. ». La nudité n’est pas un phénomène naturel parce que : « il y a un au-delà d’elle, elle cache ». Et c’est en cela, souligne-t-il, que la nudité présente un caractère phallique. Quelque chose de caché.

Alors, quelques derniers mots. Le discours actuel, je ne sais pas si j’ai réussi à vous le faire sentir, je dis le discours, déjà c’est problématique, puisque le discours c’est justement ce qui fait obstacle à cette satisfaction directe des besoins. C’est ce qui nous introduit à ce monde de semblant qui fait que cette morale est aussi en échec en quelque sorte.

Alors, le discours social actuel, prend-il le désir à rebours pour nous guérir de la faute ? Ou essaye-t-il de nous… D’éradiquer la faute pour nous guérir du désir ? Est-ce que cette morale, cette l’alangue, à l’ambition de faire un lien social en se passant du père ? L’ancien monde consistait à ne pas s’en passer. Ce n’était pas terrible. Est-ce qu’aujourd’hui, il s’agit uniquement de ne pas s’en servir ? Pour reprendre sur l’épistémologie : la nudité devient-elle naturelle ? Si elle ne cache rien, le caractère phallique, le caractère érotique de la coupure sont-ils escamotés. Du coup, un sujet est-ce qu’il se retrouve enlisé dans le registre de la demande ? Est-ce qu’il se retrouve enlisé dans le registre de la demande de ce monde rationnel de l’Eden infernal, si je prends le titre du bouquin que je vous ai... De Jacques Ascher. Et je terminerai juste sur ce… Juste avec ce point. Dans la lecture que Lacan fait d’Antigone, vous savez pièce de Sophocle, il situe la faute, l’erreur de jugement du côté de celui qui ne veut pas en faire, celui du tyran, le tyran Créon. Lui, il ne veut pas se tromper, il veut vraiment que tout aille bien, au nom du bien, il est très embêté pour Antigone, il l’aime bien, mais au nom du bien, Lacan nous dit qu’au nom du Bien, au nom de l’universalité du Bien, pour ne pas être en faute, il commet le Mal. Créon fait le mal. Alors dans notre nouvelle morale, dans cette nouvelle morale, est-ce que nous ne serions pas tentés d’attribuer cette faute à Antigone ? Voilà, ce que je voulais vous dire ce soir, de quoi je voulais vous entretenir. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre demande [Rire].

J-L. DSJ. Très bien, merci beaucoup. Alors avez-vous, dans ce grand tour d’horizon, des questions, des remarques ? Juste pour lancer la discussion, moi je trouve que par tout un tas d’occurrences, d’une certaine façon, tu nous a fait entendre, en tout cas pour ma part j’y ai été sensible, que ce qu’on a de plus précieux ce sont nos fausses notes et qu’on ne cesse, qu’on ne cesse collectivement et assez fréquemment individuellement, y compris pendant les cours de jazz, de vouloir les corriger. C’est-à-dire de vouloir s’en débarrasser puisque… Alors, ça j’ai trouvé ça formidable puisque que j’avais jamais entendu comme ça, pourtant je l’ai entendu souvent, mais quand tu pointes le… Ce qui est noté souvent dans les institutions : l’évènement in-désirable. Là c’est magnifique de l’entendre en deux mots, voilà, c’est-à-dire c’est… Ça fait tout à fait entendre que bien entendu ce qui est insupportable dans une institution c’est la manifestation du désir qui vient faire effraction. Tout comme le désir vient faire effraction dans l’image qu’on a de soi, parce que bien entendu, notre désir vient toujours nous pousser là où on ne veut pas aller et vient fendre cette image, d’une certaine façon. Voilà, et je suis aussi tout à fait sensible au fait que… En t’écoutant je me rends bien compte… Il y a quelque chose… Si ça vous intéresse vous pouvez aller consulter sur le site de l’EPHEP que j’ai cité tout à l’heure, que j’évoquais tout à l’heure, il y a une très belle conférence de Dominique Reynier qui est accessible en vidéo, c’est sur la première page, vous n’aurez pas de mal à trouver, avec Charles Melman. Dominique Reynier est ‘prof’ de sciences politiques, je sais pas si tu l’as vu. Et je trouve que ce que Philippe déplie là, est tout à fait en correspondance avec le propos de Dominique Reynier, qui d’une certaine façon fait entendre comment depuis l’avènement du discours de la science, c’est-à-dire milieu du 19ème siècle, enfin, fin du 19ème siècle : le positivisme. Et bien voilà, on a inventé une nouvelle façon de se défendre de la subjectivité, de cette indésirable, et que cette invention, cette tentative c’est qu’effectivement ce projet idéologique est de se débarrasser du sujet. D’ailleurs, d’une certaine façon, on pourrait se dire que l’invention de la psychanalyse n’arrive pas à n’importe quel moment puisqu’elle arrive juste au moment de la promotion de cette idéologie. Et que d’une certaine façon, la psychanalyse n’était pas nécessaire avant ! Afin que… Elle vient justement pointer qu’il y a là quelque chose dont on veut se débarrasser et qu’il y a un type qui a ramassé comme ça, au passage, Sigmund Freud, qui s’est dit que lui il était intéressé par justement de ne pas s’en débarrasser, c’est-à-dire ne pas méconnaitre cette dimension de la subjectivité. Parce que de façon répétitive, hein, ça produit toujours les mêmes choses. C’est dire le développement de façon presque régulière, au 20ème siècle, et le 21ème siècle, on voit pas bien comment il va pouvoir y échapper, du retour régulier au totalitarisme. Le fait qu’il y ait que ce que tu évoquais, les contestations, n’est pas contradiction, c’est… Dominique Reynier disait : « Y’a pas d’alternatives, y’a pas d’alternative ». C’est bien la difficulté.

P. C.  Sous le régime précédent, non pas de… Du sanitaire ni de la saineté, il y avait une tentative aussi de… Que ce sujet il ne vienne pas déranger.

J-L. DSJ. Oui, autrement.

P. C. Autrement, c’est-à-dire l’infantile de la religion, c’est une façon de se défendre collectivement contre ce truc qui… vous savez, c’est ce truc tout bête, pourquoi ça me tombe encore dessus ? Pourquoi c’est toujours à moi que ça arrive ? C’est ce truc là en fait. Cette difficulté d’accepter que ce que je ne veux pas… Ben voilà. Et la religion, elle a répondu, elle a constitué… Alors, quand on dit en ne se passant pas du père, c’est une façon de rester comme ça, frileusement, dans l’attente du jugement dernier. Avec le discours de la science… Je pense qu’il y a quand même eu deux moments dans la science. Parce qu’il y a un moment où la science elle reste dominée par une interrogation philosophique. Et il y a un moment plus récent, où elle se dégage de cette interrogation philosophique. C’est-à-dire qu’elle devient, vous savez sur cette question des sciences dures, des sciences molles, etc. Elle devient peut-être plus pur calcul. Et c’est… D’une certaine façon elle propose une autre forme d’infantilisme. C’est une autre forme d’infantilisme que de rester dans ce registre de la demande, on ne va pas s’en plaindre parce que cette économie de marché, il s’agit pas de la dénoncer, c’est quand même quelque chose qui… On ne va pas rêver du retour des économies administrées ? Ce qui me semble, le point qui mérite notre attention, c’est ces signifiants d’économie quand ils viennent dans… Se situer dans nos relations amoureuses, par exemple. Ce déplacement signifiant. Et du coup ça met en forme un autre type d’infantilisme, c’est-à-dire… Qui passe par la répudiation du père : s’en passer tout de suite, ce qui ne permet pas de s’en servir, c’est-à-dire s’en servir, tel que la langue le met en fonction.

J-L. DSJ. Quand on parle du discours de la science, je donne juste cette précision, c’est tout à fait à distinguer avec le travail des scientifiques. Puisque les scientifiques sont les premiers à vous expliquer qu’en fait la plupart, la plupart des grandes découvertes scientifiques, sont issues de bévues.

P. C. D’erreurs

J-L. DSJ. D’erreurs, de ratés, de… Le truc qui est tombé… Voilà. Ils se sont pris les pieds dans le tapis et là ils ont découvert quelque chose. Donc, les scientifiques sont tout à fait au courant de cette affaire. Hein, c’est la façon dont, effectivement, cette logique est reprise dans le discours social, comme quelque chose qui serait comme ça univoque, avec cet autre élément que tu pointais très bien sur la question de la langue, et je trouve qui est extrêmement important dans les institutions, c’est justement ce refus collectif d’avoir à faire avec la complexité de la langue. C’est-à-dire d’avoir à se coltiner, par exemple, et bien… Qu’est ce que c’est que le français ? Quand on parle d’un mot, qu’est ce qui recouvre ce mot ? Suffit que vous embrayiez un petit peu dans l’étymologie de chaque signifiant pour que tout de suite, là pour le coup, s’ouvrent des portes. Tout de suite va venir s’ouvrir des portes. Avec un prix à payer qui est du coup le prix de la certitude. C’est-à-dire que voilà, vous ne pouvez pas dire : « c’est ça ! ». C’est jamais… Du coup ça ne sera jamais tout à fait ça. Donc on va s’en débrouiller comme on va pouvoir. Ce que tu disais sur les projets, je trouvais ça tout à fait intéressant. Et ben oui ! Si y’en a un qui lit le texte comme ça, et ben se sera sa lecture. Et puis l’autre ne va pas le lire pareil. Et quel est le prix à payer de faire l’économie de cette confrontation de lecture ? Qu’on nr soit pas d’accord, qu’on n’est pas la même lecture, qu’on puisse entendre que l’autre il a une lecture différente. C’est ça qui est intéressant. Et on voit bien notre tendance à vouloir, voilà, faut qu’on fasse tous la même lecture.

P. C. Et en même temps on s’insurge contre ce : « tous la même lecture ».

J-L. DSJ. Ah bah oui, bien sûr.

P. C. Légitimement.

J-L. DSJ. Oui, bien sûr.

P. C. Puisque, la lecture de l’autre ce n’est pas la mode.

J-L. DSJ. Si vous essayez de publier un texte dans une revue ou de faire publier un ouvrage, c’est impressionnant hein, l’éditeur vous dit à chaque fois : « il faut que ce soit écrit de façon simple », vous ne pouvez pas… Et en plus si c’est un ouvrage de psychanalyse lu par personne [rires], bah s’il veut vendre quelques bouquins ou la revue soit lue par quelque personnes faut se…Il faut faire simple quoi, voilà. C’est-à-dire qu’il faut faire… Il faut que les gens aient cette promesse de l’économie d’avoir à se mettre à un boulot de lecture. C’est-à-dire à se poser la question de savoir : « Qu’est-ce qu’il a bien pu vouloir dire là, comment je vais comprendre… ». A reprendre ce qu’on fait assez fréquemment à l’ALI dans nos groupes de lecture. On reprend les textes de Freux, les textes de Lacan, les textes de Melman et on essaye de soutenir un travail de lecture. C’est-à-dire s’apercevoir que, bien tient, telle phrase, qu’est-ce qu’il a dit là ? Et ben on entend qu’il a pu dire quelque chose de différent. On peut avoir des lectures différentes qui se tiennent. La grande invention de Freud c’est ça, le rêve… C’est pas que le rêve puisse être lu, ça on connait ça depuis l’antiquité. C’est qu’il peut y’en avoir plusieurs lectures, et plusieurs lectures valables. Alors ça, franchement…

Mr ?. Pour vouloir faire très simple c’est vouloir prévenir la fausse note.

P. C. Tout à fait.

J-L. DSJ. Mais ça, on prend pas la mesure. On ne prend pas la mesure et pourtant on en a l’expérience du prix que ça coute. C’est un prix exorbitant, vouloir se débarrasser de sa subjectivité ça a un prix exorbitant. C’est embêtant la subjectivité, hein, bien entendu, ça nous casse les pieds à longueur de journée. Mais le pris qu’il y a à payer est…

P. C. Le prix, c’est le prix de l’appauvrissement de la langue heu… Parce que la simplification, la simplicité nécessite un appauvrissement et malheureusement cet appauvrissement je dirai qu’il nous rend assez sensible à la suggestion. Parce que l’interprétation, on peut interpréter, on peut ne pas être d’accord etc. Souvent ces interprétations sont prises aussi dans un transfert avec le texte, avec l’auteur, c’est-à-dire, ceux qui n’aiment pas l’auteur ils vont dire « wof », ceux qui sont d’accord ils vont dire… Ils ne vont pas dire la même chose, hein. Et tous ces jeux de transferts qui sont articulés à l’interprétation, la simplification, en appauvrissant la langue, les permet moins. Et du coup ça nous rend,… Ça nous permet d’acquérir une certaine sensibilité, un accroissement de la sensibilité à la suggestion à des messages simples qui peuvent embarquer parce que la puissance des mots… Les mots simples ça vous embarquent tout un groupe très facilement, ce n’est pas les plus compliqués qui embarquent des groupes tous au même pas, ce sont les messages simples.

Mme ?. Je travaille en entreprise, une permanence [inaudible] logiciel [inaudible] dans le cadre de la prévention de la souffrance au travail. Il se trouve que le médecin a un DU de TCC et qu’on suit, qu’on reçoit la même personne. Et heu… Il s’agit d’une femme en l’occurrence qui est assez émotive, qui a vécu des choses compliquées, donc pleurs, souffrance, la gestion de ses émotions justement, et du coup ben elle était tout contente une fois parce qu’il… Le médecin lui avait fait passer une échelle de confiance en soi et donc elle dit : « ah bah c’est super parce que du coup j’ai pu repérer ça, ça et ça », elle me regarde et elle me dit : «  mais maintenant on en fait quoi ? » ; je me dit ben, finalement les gens sont pas dupes, fin d’accord il y a ce truc là… c’est peut être sympa d’avoir des réunions de temps en temps, hyper tranquilles, cadrées mais elle sait pas quoi en faire de ça parce qu’une fois qu’on a dit ça on a rien dit. Et du coup je me dis ben finalement, peut-être que les gens ils ne sont pas dupes quoi.

J-L. DSJ. C’est pas mal qu’elle est réagie comme ça, parce que par ailleurs dans la clinique ce qu’on voit fréquemment aussi, c’est l’appel et la captation du diagnostic identitaire. C’est-à-dire… Alors des fois il n’y a même pas besoin du transfert avec un médecin, internet fonctionne très très bien là-dessus : « Je suis ceci. » Voilà : « je suis en colère, je suis… ». Et on voit bien que, dans la conférence que j’évoquais tout à l’heure de Dominique Reynier c’est repris ça de façon très intéressante. Et c’est pour ça que suite à cette série de conférences on va vous proposer de travailler sur la question des pathologies de l’identité. C’est que tout de suite c’est construit sur une ségrégation. Y’a ceux qui le sont et ceux qui ne le sont pas et ça vous fait appartenir au groupe de ceux qui le sont. C’est une identité, univoque. Et ça c’est quelque chose qui se déploie très, très fréquemment lorsque justement vous avez à faire à ce type de discours qui se présente sous un mode univoque. Alors pour le coup pseudo scientifique parce que, pour ne reprendre que cet exemple, bipolaire ce n’est qu’un intitulé statistique. Ce n’est absolument pas scientifique. Ou alors on ne sait plus ce que c’est qu’un travail scientifique. Vous voyez bien que par exemple, quand vous aviez cette référence-là, on a un certain nombre de collègue qui ont travaillé sur la question, qui est la psychose maniaco-dépressive, c’est plus difficile de se construire, vous voyez, de dire : « je suis maniaco-dépressif », ça tient pas bien quoi.

[Rires]

J-L. DSJ. Non mais c’est important de repérer comment ça fait signe, comment c’est… Y’a une transformation de la langue et qui est appelée hein. Parce que vous avez des personnes qui viennent réclamer : « dites-moi ce que je suis » et s’ils ne l’ont pas auprès d’un praticien, ils vont aller en voir un autre jusqu’à ce qu’ils puissent comme ça… Et vous voyez comment ça vient là aussi avoir comme effet de se débarrasser de la subjectivité. C’est-à-dire, voilà, ça vient poser comme ça… Y’a plus de questions à se poser. 

P. C. Votre remarque est importante, là j’ai insisté sur la dimension collective, parce que qu’est-ce que j’en fais ? Là on se dit il y a un truc. Mais, si ce « qu’est-ce que j’en fait » ne trouve pas d’appuis dans le discours social, c’est pas si facile que ça de garder sa question en disant… Cette dimension collective ça vous embarque et vous pouvez tout à fait avoir cette question « qu’est-ce que j’en fait », là, avec vous et puis pris dans le mouvement collectif et bien facilement voilà : « mais tu vas en faire ça, on va en faire une manif ».

J-L. DSJ. Une association…

P. C. Voilà, une association. Parce que cette dimension collective … Ça entraine quelque chose, parce qu’on a besoin d’un appui dans notre vie sociale, nous ne sommes pas des ermites ou faut être sacrément solide pour dire… Généralement, c’est la majorité qui a raison, assez banalement quand même, même si à l’arrivée… Mais c’est très juste qu’un par un, les gens disent : « voilà, qu’est-ce qu’on en fait ? » On ne peut rien en faire et l’échelle, elle ne conduit nulle part.

J-L. DSJ. Il y a un texte magnifique sur cette question que tu évoques de l’appui du collectif… Un texte d’appel à l’intelligence de chacun qui est le Traité Théologico-politique de Spinoza, moi je vous invite à le lire, c’est absolument magnifique. Comment Spinoza fait cette démarche non pas d’en appeler à la doctrine, et encore moins à l’opinion, mais d’en appeler aux savoirs que chacun peut avoir, du fait de son expérience subjective de ces fausses notes, de ces ratés… Et malheureusement on sait le prix qu’en a payé Spinoza, c’est-à-dire d’être exclu de la communauté. Mais il a pas lâché, il a tenu bon jusqu’au bout. Je vous invite à lire ce traité, c’est d’une rigueur, l’épistémologie justement est absolument extraordinaire. Sauf qu’avec ce truc-là vous ne ferez pas une institution. Vous allez créer des effets indésirables.

P. C. Ce qui est peut-être, d’ailleurs, le véritable socle de l’institution humaine.

J-L. DSJ. Probablement, oui.

P. C. C’est-à-dire cette erreur qui fait qu’il y a un trou, je veux dire, on a une petite liberté avec ça. Tu parlais de Spinoza, si vous voulez je vais vous dire comment Melman conclu son… sa conférence. Donc, sur cette morale :

« Ce que les grecs ont essayé de faire il y a 2500 ans, c’est exactement ce dont je suis en train de parler, c’est-à-dire d’essayer par le dialogue, de découvrir quelles sont les lois spécifiques de l’humanité sans se référer à aucune autre autorité [Il a lu Spinoza] que les résultats de leur dialogue, c’est-à-dire d’une opération de langage. Ce qui veut donc dire qu’il y a quelque chose à dire aux hommes, c’est leur témoigner que chaque fois que l’on s’éloigne de ce que langage a à nous enseigner, on s’approche de la barbarie et que nous sommes peut-être dans un moment exceptionnel de l’espoir de la culture [Vous voyez, il est pas pessimiste] où l’insatisfaction générale que vont provoquer les idéaux de l’économie de marché [De cette morale, hein], que cette insatisfaction va inciter à renouveler ce qui a été cette première et formidable interrogation d’il y a 2500 ans, c’est-à-dire de mettre au clair aujourd’hui ce que les lois du langage nous imposent et en même temps comment elles nous libèrent ».

Vous voyez, il n’y a pas lieu d’être pessimiste, parce que, bon le retour à la religion on ne va pas le rêver, je veux dire mais il y a quelque chose à contredire dans cette morale, ce n’est pas si facile parce que je pense qu’il faut introduire des nouveaux signifiants dans ce discours, dans ces discours qui sont quelque fois assez… Ils sont assommants, c’est quelque chose hein, le burn-out qui arrive là-dedans, l’expression à toute sa valeur. Alors est ce qu’on peut trouver des signifiants nouveaux, qui puissent nous déplacer, non pas pour contester, non pas pour faire la révolution, mais simplement pour déplacer pour contredire, pour nous sortir de cette addiction à ce type d’économie qui est très bien je veux dire en même temps, mais pas forcément pour diriger, orienter notre façon de s’occuper des enfants, de la naissance et de la mort par exemple.

J-L. DSJ. Rappelle-moi, c’est quand, la date de…

P. C. Est-ce que je vais la retrouver ? C’est assez ancien.

J-L. DSJ. Juste pour vous rendre sensible à ça, la position de Charles Melman…

P. C. 95.

J-L. DSJ. 95 ! La position de Charles Melman effectivement à toujours été de dire que nous n’étions pas condamné au pire. On était pas obligé finalement d’aller vers le pire mais depuis 95, il faut quand même noter que, si vous regarder la vidéo de cette conférence, que quand même il est un peu moins optimiste aujourd’hui. Dominique Renier faisait entendre que, je vous le dis en résumé très court, il le déplie de façon plus précise, que quand même en quelques années les résultats électoraux ont montré que les votes en France pour les partis, non gouvernements, les partis antisystèmes comme on dit aujourd’hui, sont passés de 40 à 60 %. Que le vote pour l’actuel président était en fait sur l’ensemble de la population minoritaire. Et que là ça ouvre la porte, et Charles Melman est bien placé pour en parler puisque c’est quelque chose qu’il a connu, à un processus dont on retrouve aujourd’hui exactement les mêmes caractéristiques, exactement les mêmes. C’est-à-dire que dans les années 30, il se passait exactement ce qu’on rencontre aujourd’hui et où il pointait et les politologues qui travaillent avec lui étaient d’accord avec ça, que la difficulté c’est qu’une fois que la machine est en route, on ne peut plus l’arrêter. C’est parti.

P. C. En tout cas c’est très difficile.

J-L. DSJ. Là ce qu’il soutient, lui, c’est que ce n’est pas possible de l’arrêter. Alors, on continue nous très modestement, notre place à plusieurs, d’essayer de faire entendre qu’il y a là quelque chose qui, si on ne veut pas en prendre la mesure - c’est-à-dire la mesure de cette subjectivité, cette fausse note, de cet embarra de la façon dont on est constitué en tant qu’être humain - et bien le prix à payer risque d’être ce retour au pire, dans lequel on sera embarqué, on sera pris dans ces… Dans cette folie identitaire, moi contre les autres. Donc on voit comment ça se déplie, ça s’alimente. Donc essayons de faire entendre qu’il y a peut-être autre… Un autre exemple que… Que je trouve intéressant sur… Pour des raisons de gestion de flux, on a fait la promotion, exactement comme en Amérique, comme aux Etats Unis, de soigner tous les troubles psychiques par des molécules. C’est pas forcément une position idéologique, c’est simplement que ça nous permet de traiter davantage de personnes. Parce que si vous n’avez plus… Si vous vous débarrasser des entretiens cliniques et ben vous rencontrez la personne un quart d’heure, vous repérez le trouble et les molécules qui correspondent et puis vous la revoyez trois mois après. Vous imaginez, vous pouvez voir beaucoup plus de personnes, avec beaucoup moins de personnel que si vous devez faire des entretiens cliniques une heure ou deux, voir des personnes toutes les semaines, voir parfois plusieurs fois par semaine enfin bon. Alors, sans doute sensibilisé par le fait que du coup il y avait des prescriptions massives d’antidépresseurs et d’anxiolytiques en France - vous savez bien, je pense qu’on est les champions du monde de…

P. C. Plus !

J-L. DSJ. On est plus champion du monde ? On a été battus ?

P. C. Plus ! Y’a plein de gens qui sont passés devant nous.

J-L. DSJ. Ben enfin, on est pas mauvais quand même ! Voilà, y’a un domaine où on est pas mauvais, bon, et que par ailleurs, je ne sais pas si vous le savez, mais la prescription massive aussi d’antidouleur et d’antidépresseurs aux Etats Unis, fait la première cause de mortalité aux Etats Unis par accidents. Ce sont les overdoses de médicaments. Des familles entières décimées par ces prescriptions. La CPAM s’est dit qu’il y avait peut-être un truc là qui était un peu excessif et qu’il faudrait peut-être revenir à quelque chose… Alors on aurait pu se dire : « tient, il vont avoir l’idée de former les médecins à la psychopathologie », puisqu’on est dans les études pratiques de psychopathologie. Pas du tout ! Pas du tout, ils proposent de rembourser des consultations de psychologue. Alors on peut se dire : « tient, ça peut être pas mal finalement ». Dix ! De trente minutes. Ça vous fait sourire, bien sûr, bien entendu. Puisque là, voyez… Comment, comment voulez vous qu’il y ait quelque chose qui sera évalué, qui sera standardisé, bien entendu, qui sera soumis à quelque chose qui devrait être tout à fait normalisé, comment voulez-vous que ce soit autre chose que du comportementalisme ? Quelque soit l’orientation du professionnel, il ne pourra pas faire autre chose. C’est-à-dire – ce que tu évoquais tout à l’heure - la prescription. Vous devrez vous comporter comme ça, faire comme ceci, hein, si vous voulez aller mieux. Et donc, encore une fois, l’effacement de toute dimension subjective. Et ceux qui résistent, ils ont le droit à des séances supplémentaires. Mais écoutez c’est étonnant.

P. C. C’est toujours les résistants les mieux lotis, hein !

J-L. DSJ. Ce n’est pas faux, ce n’est pas faux. Qui c’est qui vient contredire ça ? Ben, je veux dire, vous voyez, sur la scène médiatique par exemple. Est-ce que les intellectuels, qui ont le droit au chapitre, ils viennent nous dire quelque chose contre ça ? Personne. Il y a quelques hurluberlus dans des endroits comme ça un peu bizarre, dont les responsables ne savent pas ce qu’on raconte. Heureusement d’ailleurs. Mais ils nous accueillent, donc c’est assez… Bon voilà. Mais enfin il y a quand même un enjeu de taille, quand même un enjeu de taille.

 ?. Je pose juste…

J-L. DSJ. Oui.

Mme ?. Je ne suis pas sûre d’avoir tout à fait saisi comment [inaudible] faire des erreurs, que les fausses notes sont les manifestations du désir, donc les manifestations du désir seraient des erreurs ? Est-ce qu’on peut faire ce discours-là ou j’ai mal saisi ?

P. C. Disons que c’est une erreur par rapport au texte conscient.

Mme ?. D’accord.

P. C. Quelque chose qui vient faire dérailler nos bonnes intentions. En cela, on peut appeler ça une erreur, une faute, une bévue, un truc inattendu, qui nous déborde en quelque sorte. Qui nous dépasse.

Mme ?. Ça me fait penser au lapsus.

P. C. Oui, bien sûr.

J-L. DSJ. Ah oui, oui ! Ce que tu disais c’est le lapsus en musique…

P. C. De Charlie Parker.

J-L. DSJ. De Charlie Parker. Ça c’est quelque chose qu’on doit à Freud, le fait qu’il ait tout de suite repéré que les manifestations de l’inconscient, c’est-à-dire les lapsus, les rêves, les actes manqués… C’était de désir qui venait se manifester. Alors il été sympathique, il révélait à ses patients que le désir qui était inconscient. Moyennant quoi ils l’envoyaient promener. Ou elles disaient : « Oui, oui, si vous voulez mais ça m’intéresse pas ». Voilà ce qui l’a amené à repérer que justement ce savoir insu on en veut pas, il nous embête. Il nous embête parce qu’il nous échappe. Il vient se manifester… Donc toute la question est de savoir qu’est-ce qu’on en fait de ce truc-là ? De ces fausses notes. Qu’est-ce qu’on en fait, qu’est-ce qu’on en fait singulièrement et qu’est ce qu’on en fait collectivement, dans les institutions, qu’est-ce qu’on en fait ? Dans les institutions hospitalières, le double meurtre, si j’ose dire, du désir c’est que… Alors après y’a un terme, c’est la création d’un évènement indésirable. On dit : « Y’a un évènement indésirable, allez créer sur un logiciel, aller créer un évènement indésirable. » Donc non seulement [inaudible] mais la personne qui va l’inscrire dessus, en dépliant des menus roulants, c’est…

P. C Je vais vous conter une petite vignette.

J-L. DSJ. Juste une question… Qu’est-ce qu’ils en font après ? Ça va au service qualité ? Est-ce que… Juste une petite question, est-ce que sur le logiciel on peut l’écrire en deux mots ? Parce que ça pourrait avoir son petit effet ! De l’envoyer au service qualité écrit comme ça. Ça ne marche pas ? Bon, zut !

P. C. Une petite vignette comme ça. Une adolescente, les éducateurs qui s’occupent d’elle sont tout à fait au courant, elle a tendance à se déshabiller pour n’importe qui, ça fait partie du tableau. Ils le savent, ils la connaissent bien. Un soir, elle va dans la chambre des garçons, elle se met toute nue, elle appelle au secours, au viol : « on m’a violée ». Scène qui s’est déjà produite. Cette scène se produit après tout un travail sur… Bah voilà, sur la gestion des évènements indésirables. Les éducateurs sont bien embêtés, ils la sortent de la chambre, ils font leur boulot et ils préviennent leur hiérarchie. Ça se passe juste après la conclusion des travaux sur la gestion des évènements indésirables. Cellule de crise. Plainte. Enquête de police judiciaire. Très vite les flics disent… Ils classent. Enquête administrative, de la part de l’établissement. Et du coup, qu’est ce que fait l’autorité qui finance, l’autorité administrative qui finance l’établissement ? Un audit de l’établissement. Une scène qui a duré dix minutes. Vous voyez ? Et la gamine, qu’est-ce qui lui ait arrivée ? Elle a été virée. Elle a été virée, personne s’en est occupé et… ça tombait bien, elle était bientôt majeure donc… Elle s’est retrouvée à la rue. Vous voyez ? Ça produit quand même des effets. Parce que la même scène avant ce travail…

J-L. DSJ. Elle était travaillée.

P. C. Elle était mise au travail, voilà. Et là, tout de suite a déclenché quelque chose de très… Ils ont suivi le cadre.

J-L. DSJ. Moi je ne sais pas, dans votre expérience mais la plupart des situations dans les institutions où sont évoqués justement la création de ces évènements indésirables, c’est une magnifique machine à noyer le poisson quoi. C’est-à-dire, à pas s’en occuper, à par traiter. Vous avez déclaré l’évènement indésirable et puis vous en êtes débarrassé. Sauf que la gamine, elle reste avec son symptôme et qui s’en occupe ? Plus personne. Bon… On doit rendre les locaux. Merci pour votre attention. Merci encore beaucoup Philippe pour ton propos.

P. C. Merci à vous.

J-L. DSJ. Et nous aurons la chance d’avoir le texte de cette conférence, comme pour toutes les autres conférences sur le site de l’ALI Lyon, dans un délai qui n’est pas fixé, voilà.

Lyon, le 24/4/2018

 

Groupe d’étude pratique de psychopathologie
« Psychopathologie contemporaine
ALI Lyon – CNAM Auvergne Rhône-Alpes

 

Bibliographie
Jacques Ascher (2017), L’éden infernal – Post modernité, posthumanité, postdémocratie, Ed Eres, Toulouse.
C. Melman (2009) Où donc est passé le lien social, in, Malaise dans la modernité, ALI/Ecole Rhône-Alpes d’Etudes Freudiennes Lacaniennes