Nazir Hamad & Charles Melman Psychologie de l’immigration Tome II Le samedi 5 mars 2022

Jean-Luc de Saint-Just : Bonjour à tous, ceux présents dans la salle et ceux qui sont à distance, via Zoom.
Nous inaugurons aujourd’hui une modalité de rencontre que nous avons voulu mettre en place à Lyon : les « Questions posées à… ». Il s’agit de créer un espace d’échanges avec des auteurs autour d’un ouvrage que nous souhaitons discuter. Il y a eu au cours de ces deux dernières années, beaucoup de publications de nos collègues de l’ALI, mais cet espace de rencontres est aussi ouvert à d’autres auteurs, d’autres ouvrages. Dans le cadre de ce cycle de rencontres, nous aurons le plaisir d’accueillir prochainement Christiane Lacôte à propos de son livre « Leçon de ténèbres avec sarcasmes » le samedi 9 avril et en septembre Roland Chemama à propos de son livre « La psychanalyse comme dialogue ».
Malheureusement ce matin Charles Melman n’a pas pu venir à Lyon pour participer à cette rencontre, mais c’est avec un grand plaisir que nous accueillons de nouveau Nazir Hamad pour parler de leur nouveau livre, le tome II de « La psychologie de l’immigration ».


Suite au premier tome de cet ouvrage, dans un premier temps, celui d’une première lecture, sans doute un peu rapide, nous pouvons considérer ce livre comme un remarquable « abécédaire » visant, à l’instar de Freud, à établir une norme, une bienséance ou un « bon sens », en se référant à des modèles qui pourraient paraitre quelque peu dépassés au regard des discours actuels qui au nom du progrès réfutent ce savoir (cf. « La dysphonie de genre » publié en 2022 et « Les sujets qui fâchent » sur le site de l’EPHEP).
A l’occasion d’une seconde lecture, un peu moins rapide (il faut toujours lire un texte au moins deux fois), nous pouvons prendre la mesure que ce livre propose en fait une prise en compte, pas à pas, de la structure qui nous constitue. Au-delà d’une dimension symbolique qui n’est d’ailleurs nullement à défendre puisqu’elle ne relève aucunement d’un outil, d’une option dont nous pourrions disposer ou nous passer, il s'agit de ne pas méconnaitre la trame sur laquelle nos existences se tissent, « réellement ». En cela, comme le rappelle la conclusion, cet ouvrage s’inscrit dans la lignée et le projet du livre de Freud « Malaise dans la culture » paru en 1930 : « que serait une culture qui prendrait en compte, au sérieux, les avancées de la psychanalyse ? »
Ce livre fait entendre à chacun, quelque soit sa place de sujet et les aléas de son existence, qu’à méconnaitre cette trame, la réfuter ou la dénier, nous ne nous en libérons aucunement, mais en sommes que plus sauvagement déterminés. Voilà qui fait écho avec les dernières journées organisées à Lyon, il y a déjà quelques années et qui avaient pour thème : "Les figures de l’autre, une relation à l’autre moins barbare est-elle possible ? » que nous avons publié depuis. C’est quand même plus que d’actualité !
A une époque où en réaction à ce qui la régit, les revendications identitaires flambent sur un mode toujours plus ou moins narcissique - avec son corollaire d’agressivité de plus en plus intense - le précieux de ce livre vient du rappel qu’il adresse à chacun que la filiation, à entendre comme le fil qui nous lie à l’autre (à entendre aussi comme une lecture) est d’abord symbolique. Il relève d’un acte symbolique qui vient nouer, pour le faire tenir réellement, un imaginaire et un réel.
Cela étant dit, et c’est sans doute là un point aussi essentiel dans ce livre, parce qu’il est symbolique ce lien, ce pacte d’adoption, de filiation, de reconnaissance, ne garantit rien d’une réussite, d’un rapport. Il n’efface ni les différences, ni les aléas, ni les difficultés et les embarras, que ce nouage entraine dans son sillage. Se sentir différent ou autre, étranger même parfois, à là où l’on est assigné, invité ou adopté, si cela semble évident pour l’adopté ou l’immigré du fait de son statut, c’est alors méconnaitre que c’est le lot de chacun, d’être aussi Autre à soi-même.
Quelque soit l’origine, l’accueil, le mode d’adoption, être le fils ou la fille de ce couple, de cette famille, de ce pays, de cette nation, de cette religion, ou de cette civilisation, ne garantit aucunement l’absence de frustration, de problèmes. Bref, que finalement quoi que l’on fasse, il y aura à faire avec le fait que : « cela n’ira pas ! » Cela rappelle cette réponse de Freud à cette mère d’adolescent : « Faites ce que vous voulez madame, cela n’ira pas ! » Il y a pour chacun à faire avec ce ratage : « pas d’idéal ! » C’est le fil suivi par Lacan tout au long de ses séminaires, débusquer le leurre de l’idéalisation.
C’est là que nous pouvons localiser le leurre profond, l’obscurantisme qui caractérise notre époque, et auquel s’attelle ce livre, de croire que parce que je vais changer de nom, de sexe, de pays, etc. cela viendra résoudre pour moi ce que le symbolique produit immanquablement et qui spécifie notre espèce, un « ça ne va pas ! » Je dirais que ce livre est en quelque sorte un ode à faire accueil à ce « ça ne va pas », à faire accueil à l’autre, à l’altérité en tant qu’elle est aussi la mienne.
Il y a et il y aura toujours dans le rapport que j’ai à moi-même, aux autres, au monde, un manque, un réel irréductible qui ne colle pas. Comme le dit souvent notre collègue Jean-Pierre Lebrun, c’est « notre condition humaine ». Charles Melman, lui, rappelle fréquemment que c’est « ce que nous avons en commun, quelque soit la culture, la civilisation », « qu’en tant que parlêtre, ce manque, ce trou, est ce qui constitue notre commune humanité ». Ce que Nazir Hamad dans son optimisme et sa joie de vie coutumière, fait entendre comme ce qui, à condition de ne pas le méconnaitre comme étant de structure, de ne pas en faire une tare de son expérience, peut aussi être vécu comme une chance, un levier formidable pour le désir… mais au prix d’une perte, d’accepter en quelques sortes de payer le prix de ce désir.
Néanmoins, pour en arriver là, cela nécessite donc, comme le rappellent à plusieurs occasions dans ce livre, Charles Melman et Nazir Hamad, toujours dans la filiation de Freud et de Lacan, de ne pas méconnaitre non plus la haine fondamentale, primordiale, à laquelle nous avons tous affaire. Celle-là même que nous dénonçons comme étant toujours celle de l’autre, afin de méconnaitre celle qui fondamentalement nous constitue dans notre rapport à l’Autre comme à nous-même.
Là, sur ce point précisément, je trouve que le style très abordable de ce livre est des plus éclairants sur cette question. C’est bien parce que le symbolique est premier, qu’il nous coupe de tout rapport direct à l’objet de satisfaction, que c’est prioritairement l’expérience de l’insatisfaction que va rencontrer une mère avec son enfant et un enfant avec sa mère, que nous pouvons soutenir que c’est l’agressivité et la haine qui vont spontanément régir ce lien premier avec l’Autre, en tant que nous avons tous été objet parlé de cet Autre, et donc pris par la haine de cet Autre (au sens subjectif et objectif de cette formule). Que nous avons tous à dépasser la désillusion, le désamour, et l’ingratitude de l’autre, en quelque sorte à faire le deuil de la pleine satisfaction, comme de l’idéal.
Cela concerne prioritairement cet Autre en tant que c’est le plus proche et le plus aimé, le prochain avec lequel l’amour et la haine sont noués, et trouvent leur résolution éventuelle, non dans le leurre de l’amour de complétude ou dans le déchainement de la haine de son échec, mais dans la prise en compte d’une impossible satisfaction, de structure pour chacun des êtres humains ; d’un manque dont la conséquence peut être : « qu’il laisse à désirer ». On mesure le déni actuel dans l’impératif de satisfaction à laquelle chacun est constamment sommé de répondre, alors qu’il relève d’un impossible, ce que par ailleurs tout le monde sait dans son expérience singulière !
Comme le rappelait Charles Melman dans l’argument de journées de l’ALI sur la fin de la cure, si une psychanalyse permettait que je ne reproche plus aux autres ce qui m’arrive, mes difficultés, cela serait déjà pas mal. C’est à ce travail qu’invite ce livre, que je sois immigré ou adopté…
Voilà quelques points que j’ai retenus de cet ouvrage, nous pourrons revenir sur ce commentaire dans notre discussion, mais au-delà de nombreuses questions qui pourraient se poser et que nous aurons sans doute l’occasion d’aborder, j’en aurais essentiellement deux pour initier cette rencontre. Elles sont principalement issues de mon expérience de travail avec des professionnels de prévention spécialisée de la banlieue Est de Paris, le 93 :
La première a trait à la distinction qu’il y aurait peut-être à faire entre les garçons et les filles dans le processus ou issue de l’immigration ? Vous n’en parlez pas dans ce livre et c’est aussi pour en échanger ce matin que j’ai invité Maria Rougeon à nous rejoindre. Il semblerait que les choses ne se passent pas de la même façon pour les garçons et pour les filles. Entre autre, que les filles rencontrent beaucoup moins de difficultés à passer d’une culture à l’autre, à adopter une autre culture. Enfin, cela semble ne pas se présenter sous les mêmes coordonnées. Pourrais-tu nous éclairer sur ce point ?
Nazir Hamad : Il est toujours surprenant de découvrir dans la lecture qui est faite de ce qu’on a écrit pleins de choses qu’on ne savait même pas qu’elles y étaient.
Si je partais ce matin de cette question simple: de quoi se justifie l’adoption, ou plutôt, de quoi se justifie-t-elle ? La réponse que nous avons hasardée est celle-ci : l’enfant est international. Trois raisons nous portent à affirmer un tel postulat.
L’adoption se soutient d’un pari.
Le bébé humain est un sujet en advenir, et il l’advient avec le soutien de quelqu’un ou quelques uns qui le comptent et qui lui parlent en tant que humain.
Le bébé humain parle la langage de son entourage qu’il soit son entourage biologique ou adoptif. Il le fait parce qu’il est phonéticien universel.
Il va sans dire que tout enfant est l’enfant de ses parents biologiques. Cela serait vrai à condition que l’enfant soit adopté par les parents qui l’ont mis au monde. Il se trouve, et cela n’est pas rare, que des enfants naissent sans que les géniteurs, pour des raisons diverses, ne soient en mesure de les prendre en charge pour les élever. Alors, des enfants sont donnés à l’adoption. D’autres sont destinés à l’adoption avant même leur naissance. Ce sont les enfants qui naissent sous x, ou de parents inconnus. Beaucoup de couples, beaucoup de personnes seules sont en attente de voir leur démarche d’adopter aboutir. Il y a plus de candidats à l’adoption que d’enfants destinés à l’adoption. A examiner les divers dossiers en attente, il est légitime pour chaque observateur de se poser cette question simple: peut-on croire, peut-on soutenir l’hypothèse qu’une personne ou qu’un couple qui en fait la démarche et respecte la procédure, est en mesure d’occuper la place laissée vide par les géniteurs et d’exercer la fonction parentale qui manque à l’enfant?
Ma réponse est claire, c’est oui. L’expérience clinique m’a appris qu’un enfant vient occuper sa place dans le désir de parents candidats à l’adoption et que cette place est la sienne. Il est possible d’affirmer cela sans se tromper.
Comme je l’ai dit au début de mon intervention, cela est possible à soutenir pour trois raisons. L’enfant en tant que sujet de désir, est l’hypothèse de son autre maternel. Cet autre est tout adulte qui soutient pour un bébé humain l’hypothèse de son humanité. Je dirais même que l’enfant n’est humain que grâce à cette hypothèse. Quelqu’un m’a rétorqué, et il n’avait pas tort de le faire, si c’est toujours le cas, comment explique-t-on que beaucoup d’enfants adoptés cherchent à retrouver les parents d’origine? C’est encore l’expérience clinique qui m’a fourni la réponse. Rechercher l’histoire d’origine n’invalide pas le lien de parenté qui lie la personne adoptée à ses parents de la réalité. Ils sont toujours comptés comme parents et rien ne vient délégitimer ce statut sauf quand pour une raison ou une autre, l’adoption n’a pas eu lieu. Cela existe aussi. L’enfant adopté veut savoir sur ses origines, sur ses géniteurs, il veut les entendre afin de construire son récit familier, et il veut surtout les voir physiquement, les situer dans l’espace-temps comme un moyen de se séparer et plus encore, de les rendre mortels. Les parents qu’on n’a pas connus restent immortels et viennent toujours hanter les personnes adoptées.
Le deuxième raison relève du fait que le bébé humain est un phonéticien universel. De ce fait aussi, il est possible de dire que tout bébé est universel. Il peut naître ailleurs, sur d’autres terres, dans d’autres cultures, dans d’autres langues, dans d’autres atmosphères et devenir rapidement l’enfant de ses parents adoptifs ainsi que l’enfant de la culture qui l’adopte. C’est possible parce que tout enfant est l’en fait de lalangue. Nous sommes tous les enfants de lalangue. Je dirais comme l’affirme Lacan, que si nous sommes là venant des horizons divers, à nous parler et à nous comprendre ne serait-ce qu’à minima, c’est parce que nous sommes tous les enfants de la langue. Nous sommes nés de la terre comme le dit le mythe biblique, cela nous concerne en tant que corps, mais en tant que parlêtre, nous sommes nés de lalangue.
Pour entrer dans la musique d'une langue, il faut que quelqu’un nous parle, il faut qu’il y ait quelqu’un qui nous introduise dans cette musique de sa langue. La prosodie de la langue maternelle est le premier empreint sur lequel se construit le lien à son autre maternel. C’est-à-dire, c’est toujours autour de cette hypothèse de sujet: il faut parler à l’enfant en tant qu’homme pour en faire un homme, il faut parler à un enfant comme humain pour en faire un sujet humain. Et cette musique de la langue, cette prosodie, qui est la condition, la base, le nid de la condition de parlêtre.
Vous allez peut-être me dire, quel rapport peut-on établir à partir de ce que je viens de dire avec l'immigré ?
Je pense que l'immigré qui choisit délibérément, par désir ou par nécessité, d'aller vers un autre pays Il a cette motivation de base d’être reconnu dans sa démarche auprès d’un autre posé d’emblée comme un semblable. Je viens vers vous et j’espère que j'aurai une place ? Est ce que j’aurai une place à côté de vous, parmi vous. Est-ce que mon désir de partager un espace qui au départ n’est pas le mien, m’inscrit dans le destin d’une nation en tant qu’un de ses membres ?
Et voilà peut-être ce que je dis au sujet de l’adoption. Une personne ou un couple reconnait un enfant en tant que son enfant, est-ce que l’immigré est susceptible d’être reconnu par la nation comme un de ses membres ? Dans les deux cas, il y a un destin commun celui d’être reconnu ou d’être rejeté.
Et c’est là que la difficulté réside, c’est-à-dire le destin de quelqu’un dépend de la reconnaissance de quelqu’un d’autre. On l’accorde ou pas. Quand on la lui accorde, on lui donne une chance pour devenir un comme les autres, un parmi les autres. La reconnaissance est un don qu’on accorde ou qu’on refuse.
Ce qu’il y a d’extraordinaire quand vous rencontrez des immigrés et vous leur posez la question: « Qu’est-ce qu’il a rencontré de plus agréable en arrivant dans un nouveau pays » ? Il va vous dire vous savez quoi ? C’est l’accueil. C’est la rencontre avec quelqu’un, c’est la reconnaissance de quelqu’un, quelqu’un ou quelques-uns. On m’a reconnu, on m’a souri, on m’a aidé, on m’a pris par la main, on m’a fait.
C’est des choses simples, mais il n’empêche c’est ce qui a compté le plus pour lui. Je me suis fait, je me suis reconnu dans le regard d’un semblable, voilà comment cet étranger, ce supposé étranger, devient mon semblable, par la reconnaissance. Cette reconnaissance n’est pas un commandement. C’est la reconnaissance du samaritain. C’est parce que je me reconnais dans l’autre que je le compte comme mon semblable. Et peut-être c’est ça la phrase de Merkel, quand elle dit au sujet de l’accueil des syriens, je n’ai pas ses phrases, mais ce quelque chose qui veut dire: ils sont comme nous, souvenez-vous, nous avons connus leur sort, nous avons été tous sur les routes, vous n’avez pas oublié ça, ils sont nos semblables. Mais maintenant ce n’est plus le brun qui vous vient de l’extérieur, c’est le blond aux yeux bleus qui vient de l’extérieur, qui commence à frapper à nos portes, c’est à dire celui qui est vraiment notre semblable physiquement. Ils sont blonds comme nous, aux yeux bleus comme nous. Mais seulement c’est maintenant ces blonds aux yeux bleus qui se tapent dessus. Vous voyez c’est pour cela, il n’y a pas de certitudes, il n’y a pas d’état de fait qu’on peut vivre sans être dérangé à un moment ou un autre. Il n’y a rien qui nous protège définitivement. Il faut faire avec l'imprévu, et cet imprévu peut parfois nous arriver de manière si féroce, si terrible, comme on le voit actuellement à nos frontières. Et personne ne peut prétendre qu’il est à l’abri. Qui peut prétendre être à l’abri, à l’abri de quelqu’un qui décide demain que votre place me convient, votre façon de faire ne me convient pas ou votre voisinage ne me convient pas. Cela beaucoup de nations, beaucoup de peuples l’ont fait, et cela se fera toujours.
Maintenant pour revenir à la question de la différence entre un père et une mère comme quelqu’un l’a fait remarqué au début de cette matinée. Je partirai toujours de cette hypothèse que Charles Melman soutient dans ce livre. Il dit que le statut de l’enfant n’est pas le même pour un homme et pour une femme. Un homme n’a pas besoin d’un enfant pour que son statut d’homme soit certifié. Une femme a besoin des enfants pour se sentir mère et pour être certifiée dans son statut de femme. et il rajoute: une mère tient son statut d’un père universel, et la priorité pour elle est dès lors la préservation de la vie de l’enfant. Le père a une vocation symbolique. il inscrit normalement l’enfant dans sa lignée. Autrement dit, sa paternité relève d’une symbolisation privée et non plus universelle. Cela nous aide à comprendre pourquoi il est plus facile pour une femme d’être adoptée, aimée, intégrée nettement plus vite qu’un homme parce qu’elle aussi, est universelle. Elle n’a pas besoin d’être dans la rivalité phallique avec son nouveau groupe. Un homme est dans la rivalité phallique, c’est pour cela il y a tout de suite quelque chose qui fait confrontation avec cet autre. Qu’est-ce qu’on disait dans les années 30 ? « Ils veulent nos femmes, ils veulent notre argent, ils, les hommes, veulent coucher avec nos femmes, et ils veulent s’enrichir en profitant de notre système et notre mode de vie ».
Tandis que les femmes restent aimables, regarder dans l’esclavagisme, vous connaissez un blanc, un maître blanc qui a boudé une femme noire ? C’est-à-dire, il y a possibilité pour les hommes, aussi racistes qu’il puisse être, aussi rejetant qu’il puisse être, de désirer une femme racisée et de coucher avec elle. Souvenez vous de ce mot d’esprit de Freud ? Il raconte qu’un seigneur, le fils d'un seigneur qui se promène dans son domaine, et qui tombe sur un jeune domestique qui lui ressemble comme un frère. Alors ce jeune maître appelle le domestique et lui demande : est-ce que ta mère travaille au château ? le domestique lui répond : non seigneur, c’est mon père. Autrement dit, vous voyez, quand il s’agit de la différence des sexes, il y a cette rivalité phallique qui tombe et n’entre pas en jeu chez les femmes. La femme du maître peut elle aussi, comme le maître succomber au désir de coucher avec son domestique.
Et je pense parce que les femmes, les jeunes filles en France ne sont pas soumises à cette même rivalité, ne sont pas désignées en tant que rivaux, en tant que désirables elles ont beaucoup plus de facilité à trouver leur place que les hommes.
Je ne sais pas si j’ai tout à fait répondu à ta question? Je vous ai donné une réponse parmi d'autres réponses possibles.
Jean-Luc de Saint-Just : Est-ce quelqu’un veut faire une remarque ? Maria ? Vas-y. Essaye de parler un petit peu haut pour que les gens qui sont à distance t’entendent.
Maria Rougeon : Déjà d'une manière générale, je trouve extrêmement intéressant de pouvoir lier l’adoption et l’immigration. Je ne l’ai jamais pensé comme ça. Ils sont parties communes, c’est à dire cet enfant pour pouvoir rentrer dans un processus d'adoption, il y a quelque chose de son lien à l’autre qui migre, on va le dire comme ça, mais également pour qu’immigration puisse être adoption ça nécessite que celui qui migre en effet adopte ces codes qui appartiennent à notre lien social qui impliquent à la fois la langue la religion enfin tellement de choses, les blagues, les différences signifiantes, mais cela implique aussi comme dans l’adoption que l’autre soit aussi dans ce rapport à l’accueil et à l’ altérité qu’il puisse aussi accueillir. Et du coup, cette question de la féminité, enfin comment la position féminine peut être par rapport à la question du réel ; petite anecdote cela m’a rappelé mon professeur directeur de thèse quand il a su que je restais il m’a dit c’est bien parce que les femmes françaises ne veulent plus faire d’enfant ; en fait c’est ce réel qu’il m’a renvoyé en effet, mais moi je l’avais lu de manière un petit peu différente, comme vous l’avez dit en introduction c’est ça qui est intéressant, c’est comment les lectures peuvent être tout à fait différentes ce qui me vient, me venait, j’avais la même question en effet, c’est ce qui me manquait dans le livre. Cette question de position féminine et masculine, les effets surtout que ça peut avoir. C’était la question que je voulais vous poser : est-ce que parce ce qui m’est venu c’est, j’ai pas vérifié, je ne sais plus dans quel séminaire, Lacan reprend la question œdipienne et il la prend du côté de la migration justement. C’est-à-dire comment une femme elle, elle a faire ce mouvement de migration, déjà par rapport à l’objet d’amour puis revenir dans ce premier objet d’amour de la mère pour pouvoir rentrer dans un processus d’identification. D’emblée une femme construit sa féminité dans ce mouvement là. Et c’est comme ça que un petit peu que je me suis dit à la lecture de votre livre, je me disais tout le long, je voyais une espèce de bande de Möbius. Et du coup je ne dirais pas que c’est à l’envers, l’adoption et l’immigration mais que elles partent d'un point différent simplement et que ça fait un parcours qui est dans le va et vient et que du coup justement la question féminine, est-ce que la question féminine dans ce mouvement d’aller dans un lieu dans un objet d’amour vers un autre, comme ça, est ce que ce n’est pas ça qui vient aussi ?
NH : Absolument
MR : Cette question du réel est tout à fait fondamentale. Est-ce que ce mouvement déjà cette migration dans laquelle elle est elle, se constitue ?
NH : Melman insiste beaucoup là-dessus en disant qu’une femme migre forcément, à partir du moment où elle se marie et change de nom. Une femme à l’habitude, les femmes ont l’habitude de changer de nom, de changer de lieu, ont l’habitude d’adopter un autre foyer , une autre famille ou un autre groupe. C’est ça qui fait le lien d’alliance . Si on part de l’hypothèse des anthropologues, la femme est la condition des alliances parce qu’elle migre sans cesse, ne serait-ce que dans la famille.
MR :  Elle n’est pas toute. Elle n’est pas toute. Elle est sans cesse autre, même si chacun est autre par rapport à soi-même. Je trouve que ce côté-là une femme, la position féminine en tout cas, c’est vraiment ça. Elle ne peut que se dire que multiple, mais pas seulement au niveau collectif individuellement aussi.
Georges Dru : Je trouve que c’est une très belle introduction de dire que la femme n’est pas toute.
NH : Ecoutez parmi les exemples types de ce qu’on appelle la rivalité phallique, je ne sais pas qui en a fait l’allusion tout à l’heure, c’est la bagarre entre jeunes dans les quartiers.
Qu’est-ce que c’est que ça ces bagarres entre jeunes dans les quartiers ? Qu’est-ce qu’ils sont en train de défendre ? Qu’est qu’ils sont en train de faire valoir ? Pour moi c’est simplement une rivalité phallique où dans la rencontre avec les autres, c’est être le phallus ou mourir. Il n’y a pas cause noble à défendre et encore moins de revendications sociales ou professionnelles à faire valoir. C’est vraiment la rivalité phallique.
JLSJ : Pour préciser un peu la question que j’avais adressée à Nazir sur ce point, plusieurs professionnels de la banlieue parisienne évoquent des meurtres récurrents. C’est plusieurs par an, qui n’ont pas de cause, simplement la présence d'un autre jeune sur le quartier. Et de la part de jeunes, alors parce qu’ils se sont mis à réfléchir, qu’est ce qui peut pousser des gamins, c’est 14 - 15 ans, c’est pas 20 ans, c’est 14 - 15 ans, 13 ans même pour certains, à aller jusqu'au meurtre de l’autre, tout simplement parce qu’il a traversé la rue. Et donc ces professionnels avaient l’habitude de voir des bagarres entre jeunes, là c’est pas des bagarres entre jeunes. Il y a un cran au-dessus qui est passé. Et on a cherché avec eux s’il y avaient des éléments qui permettaient de caractériser, de comprendre un petit peu ce qui caractérisent ces jeunes-là. Et un des éléments qui a été mis en évidence, c’est qu’ils n’avaient aucune autre revendication identitaire que le quartier. C’est-à-dire ils sont, pour beaucoup, parce que c’est ce milieu social là, ils sont comme on dit issus de l’immigration. Ils sont nés en France. Ils ne se revendiquent absolument pas d’un pays étranger. Ils ne se revendiquent pas français non plus. Ils ne se disent pas français, parce qu’il y aurait pu avoir cette lutte là de référence. Ils n’ont pas d’autres références finalement que le quartier. C’est tout à fait étonnant. Et avec une surprise, presque, quand ils sont interpellés sur l’acte qu’ils ont posé, comme s’ils n’en mesuraient absolument pas la gravité. C’est tout à fait étonnant.
Annie Delannoy : Ça se tient quand même comme un symptôme de cette non rencontre entre adoption et immigration.
JLSJ : Oui, oui c’est pour ça que je trouve intéressant de poser la question. À propos de ce qui est amené dans ce livre là. C’est une revendication phallique particulière, parce que justement il n’y a pas de dimension phallique symbolique, non. C’est pas au nom de quelque chose, qu’ils viendraient buter ou se battre.
NH : C’est la preuve même qu’ils ne sont pas inscrits quelque part.
Frédéric Scheffler : La question que j’avais par rapport à cette revendication phallique, en tout cas dans le cadre de l’immigration : Est-ce que la difficulté d'un homme ne serait pas aussi la difficulté à tenir une position Autre, qui entraînerait cette revendication phallique ?
NH : C’est à dire ?
FS : Un refus d'une féminisation en fait.
NH : C’est vraiment une très bonne question. Qu’est-ce qui vient atténuer cette revendication phallique ? C’est la possibilité pour chacun de nous, de s’inscrire dans ce qui fait lien, une possibilité pour chacun de trouver une place, ou il serait compté comme un, un parmi d’autres. Je pense que la difficulté, c’est cette reconnaissance de l’un parmi d’autres qui est le plus difficile. Ils sont dans une espèce de face à face avec un autre, avec le semblable. Je vous donne un petit exemple, comment quand on est dans cette sorte de face à face avec le semblable, on ne sait plus comment se quitter sans s’entre déchirer. Les enfants entre eux, c’est à dire de ne pas pouvoir quitter encore cette image dans le miroir. C’est-à-dire, ils sont toujours en train de buter sur l’image de l’autre enfant. Ils sont dans la capture de l’image de l’autre et je pense que la rivalité phallique est cette capture-là. C’est-à-dire, ils sont face à un autre sans médiation. Il n’y a pas de tiers. Ils sont face à face. Il n’y a pas cet autre maternel qui dit oui c’est toi. Autrement dit, qui l’aide à se reconnaître dans l’image, dans le regard qui se porte sur lui c’est à dire le regard de la mère. Pour moi, la reconnaissance de l’image commence par la reconnaissance du regard de l’autre maternel. Se reconnaître dans le regard de son autre. Je crois que ces jeunes sont privés du regard de l’autre. Ils sont éternellement abandonnés.
Autrement dit, il y a quelque chose qui s’est figé par cette rivalité. Ils sont capturés par l’image de l’autre dans le miroir. Comment se défaire, c’est pas facile de se défaire, faute de médiation qui les reconnaît.
FS : C’est la dimension paranoïaque .
NH : Exactement
JLSJ : Il y a une autre caractéristique, pas uniquement pour eux, mais pour la plupart de ces jeunes, quasiment dans toutes les situations, il n y a pas d’instance paternelle. L’instance paternelle a disparu. Ce ne sont pas les seuls, mais il y a aussi cette dimension là. C’est ce que je t’avais adressé dans ma question, avec d’ailleurs une réponse intéressante de la part de ces parents. Je me posais la question de comment on pourrait la lire cliniquement, c’est que dans bien des cas, la réaction des familles à son passage à l’acte, de ce jeune-là, c’est de l’envoyer au bled, sans retour. Ils le mettent dans un avion. Ils l’envoient dans leur pays. Ce n’est pas son pays puisqu’il est né en France, le jeune. Et les professionnels sont souvent confrontés à ça. Il est passé où ? Ils vont dans le quartier, ils le voient plus et ils apprennent qu’il est parti sans retour, qu’il a été renvoyé au pays d’origine des parents, sans retour.
NH : Où il va poser les mêmes problèmes.
JLSJ : Je trouve que c’est intéressant cette réaction des familles, comme ce que tu disais par rapport à l’image, cette réaction des familles qu’est-ce qu’elle vient nous dire, qu’il ne trouve pas d’autres solutions que de renvoyer au pays d’origine, de leur origine.
MR : Est-ce que dans ce processus à la fois de migration adoption, on va dire, il y a, ça me fait penser au terme du choix, quand on choisit il y a quelque chose qui choit forcément. C’est à dire pour rentrer dans ce processus d’adoption il y a quelque chose qui passe par le dessous, ça me fait penser à la question du bilinguisme, pour qu’un enfant puisse être à l’aise subjectivement dans une langue, un enfant de famille mixte, voir même à baigner dans 3 langues, cela nécessite que le parent d’origine étranger, accepte que sa langue, enfin il me semble, en tout cas c’est mon expérience, c’est ce que j’ai pu repérer aussi en tout cas c’est comme ça que j’ai vu les choses, que sa langue maternelle d’origine passe en dessous. Il n y a qu’à ce prix-là qu’un enfant peut être subjectivement et circuler dans les deux langues sans que ça le mette en difficulté. Et ce que j’ai l’impression c’est qu’il y a beaucoup de choses qui se tressent là. Est-ce que c’est toujours possible déjà, quand c’est la mère et quand c’est le père certainement que c’est pas la même chose, qui est issu de l’immigration certainement. Mais il y a, peut-être aussi, la question de ce grand Autre, religieux ou pas. Enfin vous voyez qui vient aussi rentrer en ligne de compte. A qui on se réfère, vous disiez tout à l’heure c’est le quartier qui devient la référence. Mais ce quartier, il prend une place de quoi, il prend une place de grand Autre du coup pour eux. C’est-à-dire, ça devient presque le dieu à qui il se réfère vous voyez il me semble qu’il y a un tressage complexe.

NH : Exactement. Je vais ramasser votre question pour me la poser d’une autre manière, c’est une question vraiment très importante. Il y a un débat en France, et pas seulement en France, un débat autour de la question « assimilation ou intégration ». Qu’est-ce qu’il faut faire avec les étrangers, faut-il les assimiler ou les intégrer ? Assimiler quelqu’un, est-ce autre chose que de le reconnaître comme un semblable ? Comment savoir que quelqu’un est intégré ? Que faut-il qu’il abandonne de ce que le constitue pour croire à son intégration ?
Que peut-on abandonner ? Consciemment ou inconsciemment. Quand on demande à quelqu’un d’abandonner sa langue, d’abandonner ceci ou cela, c’est là où ça devient un problème. Pourquoi ça devient un problème ? Parce qu’il suffit de perdre quelque chose, un des repères qui soutiennent la filiation et l’identité nationale de quelqu’un pour en faire quelque chose de sacré. Vous voyez une terre occupée, c’est une terre sacrée, une langue rejetée devient une cause qui mobilise ceux qui la parle. Vous connaissez en France, l’expérience des langues régionales. il fallait les récuser, les interdire pour instaurer une langue une, la langue française, la langue nationale. Mais le fait de les récuser en a fait une cause essentielle. Bien que ces langues aient été interdites pendant des décennies, elles ont ressurgit comme le Phénix de leur cendre surgit pour se faire reconnaître et officialiser. Dès qu’on demande à quelqu’un d’abandonner quelque chose, ce quelque chose devient fondamental voire même sacré. Souvenez-vous de la dernière leçon quand les allemands, avant que les allemands n’entrent en Alsace-lorraine, la dernière leçon de français. Moi je trouve ce petit texte comme une anthologie de ce que c’est une perte. Vous avez en tête la dernière leçon ? Lisez la c’est d’une beauté incroyable. Un professeur qui, avant que les allemands arrivent, et sachant qu’ils vont interdire la langue française, dit à ses élèves voilà je vais vous faire une dernière leçon de français. C’est Daudet qui a écrit ça dans « les contes de lundi ». C’est quelque chose, je vous invite à le lire et vous comprendrez à ce moment là ce que c’est une perte. Tout d’un coup cette langue est devenue cet élément précieux que l’on va perdre ensemble.
C’est pour cela je pense quand on demande aux immigrés de s’assimiler, que faut-ils qu’ils abandonnent pour se faire reconnaitre ? Comment on juge l’apport des immigrés. On peut le juger positivement et dire qu’ils ont apporté quelque chose, mais on peut juger aussi négativement ce même apport, car on estime qu’il est susceptible de mettre à mal notre identité et nos repères. Quand on reçoit l’apport des autres comme quelque chose qui vient mettre en difficulté nos repères, cela veut dire peu importe ce qu’ils font, ils vont nous mettre à mal par leur présence.
AD : Pour travailler avec des jeunes des familles MNA comme on les appelle si joliment ces jeunes. Beaucoup expliquent que dans les foyers où ils sont entassés, on va le dire comme çà, ils sont 90% à manger halal et en fait rien n’est halal. Donc ces jeunes, ils mangent pas ou très peu et enfin ils se débrouillent, comme ils n’ont pas d’argent disponible, ils ne peuvent même pas s’acheter quoique ce soit à manger. Et cela je cite ça parce que vous parliez de la nourriture et ce que ça vient voilà quand même. Je me dis tous les jours que je rencontre ces jeunes que vraiment les conditions d’accueil en France sont dramatiques, il y a beaucoup de choses prises du côté de la masse et de l’obligation légale de mettre ces jeunes à l’abri, encore quand l’état arrive à le faire mais que effectivement toute cette question sur cet accueil, au moins l’accueil quoi, qui n’est pas du tout pensé, mis en œuvre.
Je crois que la langue, je pensais quand vous parliez, Maria que tu parlais aussi de ça. J’ai en tête l’exemple de au moins deux jeunes là que je reçois qui se trouvent, l’un ça fait très longtemps qu’il est en France, dans l’impossibilité de, je ne sais pas comment il faut que je le dise du coup d’assimiler, d’apprendre, de se débrouiller avec le français et l’autre qui est là depuis moins longtemps, mais qui est parti très très jeune de son pays, je pense va rencontrer la même difficulté ça fait plus d’un an qu’il est en France, scolarisé dans une classe toute à fait classique et ce jeune ne parle pas du tout français. Il dit qu’il peut comprendre, mais cela lui impossible de prononcer, le moindre mot, le traître mot.
JLSJ : Le traître mot !
AD : Je me suis beaucoup dit ça que c’était peut-être psychiquement le dernier bastion qu’ils pouvaient tenir pour ne pas être, pour que leur identité ne soit pas dissoute enfin quelque chose comme ça.
NH : Je vais vous raconter une anecdote, quelque chose extraordinaire par rapport à la différence. J’ai reçu un jeune d’origine nord-africaine qui était placé dans un foyer. Mais c’était vraiment une masse ce jeune de 16 ans, qui faisait armoire à glace. Il suffisait qu’il monte dans le RER, pour que les gens dégagent autour de lui tellement il inspirait la peur. Et lui, quand il voyait les gens se dégager de la sorte, ça le mettait dans tous ses états : « ça ne vous plaît pas ? ça vous dérange ? » Toujours est-il, un jour il vient me voir et il me dit : « j’ai failli casser la gueule à l’éducatrice ». Je lui répond : « la pauvre ». Il me dit : «  pourquoi vous dites la pauvre, vous savez pourquoi ? » J’ai dit : « Non, vous allez me le raconter maintenant ». J’ai dit la pauvre parce que je regarde votre masse et j’imagine l’éducatrice, alors donner un coup à une éducatrice, vous allez la massacrer. Et maintenant racontez moi. Parce qu’elle m’a dit, l’éducatrice m’a dit que je n’étais pas musulman. Elle n’a pas le droit. Pourquoi elle a dit que vous êtes pas musulman ? Et ben parce qu’elle voulait que je mange du cochon et moi je ne mange pas de cochon. Il y a autre chose ! Alors racontez moi ce qui c'est passé. Il dit : « l’éducatrice était fâchée parce qu’elle m’a dit tu fais semblant que t’es musulman. Boire de l’alcool ça fait musulman ? Voler ça fait musulman ? Forniquer ça fait musulman ? Trafiquer ça fait musulman ? Et alors, pourquoi il n’y a que cochon qui marche ? » « Et c’est pour cela que vous êtes fâché ? » Il m’a dit : « oui ». A votre place, je réfléchirai. Parce qu’elle s’est adressée à un homme intelligent, et vous réagissez comme un homme qui n’a pas compris la question. Il dit : « elle ne m’a pas posé une question ». Je lui dis : « si, la question c’est pourquoi il y a des interdits qui marchent et des interdits qui ne marchent pas. Pourquoi le cochon ? L’interdit du cochon marche chez vous et voler et faire tout ce qui est interdit ne marche pas ? » Elle s’est adressée à un garçon intelligent et vous avez répondu comme une brute. Il m’a dit : « mais c’est vrai ça ». Et je lui ai dit : « maintenant vous avez le devoir de répondre ». Puisque qu’elle s’est adressée à votre intelligence, réfléchissez, et répondez en tant qu’homme intelligent. D’ailleurs moi aussi, je suis curieux, je veux savoir pourquoi il y a des interdits qui marchent et des interdits qui ne marchent pas. Il est parti calmé. La semaine suivante, il est venu. Il m’a dit M. Hamad, j’ai réfléchi à votre question. J’ai dit : « j’espère que vous avez trouvé une réponse ». Il m’a dit : « oui, en fait le cochon on s’en fout. Le cochon on s’en fout tandis que l’alcool, les femmes tout ça. » « Maintenant vous avez le devoir d’aller répondre à cette éducatrice, vous allez lui dire exactement ça parce que je trouve cette réponse très intelligente et vous êtes l’homme intelligent auquel cette éducatrice s’est adressée ». Et effectivement, un débat s’est établi. C’était possible, suite à ça, de discuter avec son éducatrice.
Pour moi, on devient brute quand on n’entend pas la question. Pour une raison ou une autre, on ne veut pas entendre la question alors que dans nos échanges il y a un ensemble de questions qui se formulent, et c’est quand on n’entend pas ce qui se pose comme question qu’on devint brutal. C’était le cas de ce jeune, il n’a pas entendu la question. Il faut les aider à entendre les questions.
JLSJ : La différence quand même, me semble-t-il, c’est que là tu as supporté une hypothèse subjective. Il n’avait pas entendu avant que tu le fasses, qu’il y avait quelqu’un qui portait cette hypothèse subjective. Ce que tu évoquais tout à l’heure.
NH : J’ai fait l’hypothèse de son intelligence.
JLSJ : Oui tout à fait.
NH : J’ai fait l’hypothèse qu’il a un savoir.
AD : Oui peut être, c’est une autre façon de le dire, s’adresser à lui et pas à l’image du musulman enfin quelque chose comme cela.
NH : Vous savez, c’est ça qui justifie notre place d’analyste, c’est parce que quand il y a quelqu’un qui vient nous voir, on fait tout de suite l’hypothèse qu’il a quelque chose à nous dire. Il a un savoir à élaborer et c’est ça qui nous permet de recevoir quelqu’un.
Un participant : L’éducatrice a maintenu justement l’image du musulman. Pour moi c’est ça qui a provoqué sa colère. Il était déjà dans l’intelligence, lui au-delà de l’image, mais elle, en le maintenant dans des à priori, des portraits type, comme on fait un portrait type du catholique ça ne nous plairait certainement pas. Quelque part il y a toujours un abus.
NH : La maladresse de cette éducatrice, c’est de l’attaquer comme elle l’a attaqué, elle aurait pu formuler la question autrement en disant par exemple: « ben écoutez, qu’est-ce que se passe ? comment définir un interdit ? Pourquoi cet interdit continue à marcher ? » C’est vrai que moi je suis surpris par les patients Arabo-musulmans, par le nombre qui sont alcooliques qui boivent comme un trou et qui ne mangent pas du cochon. Allez comprendre quelque chose.
JLSJ : Je trouve que l’exemple que tu as donné là, fais tout à fait bien entendre, ce que tu décrivais avant. Je vais le dire volontairement comme cela, de l’emprise dans une captation imaginaire avec la réaction narcissique et violente qui va avec et le fait qu’à partir du moment où est soulevé l’énigme d’un sujet, cela tombe. Parce ce que c’est une énigme finalement, t’as pas amené un savoir. C’est l’énigme de l’autre, la question qui vient ouvrir, d’une certaine façon, tu l’as mis face à un manque dont il avait à répondre et que là c’est venu dépasser cette affaire.
NH : En tout cas c’est ce que l’on fait en tant que psychanalyste. Qu’est-ce qu’on fait d’autre ? C’est quoi pour toi, pourquoi ? Qu’est-ce qui vous met dans cet état ? Pourquoi ça tient ? Pourquoi les autres ne tiennent pas ? Vous faites appel à son intelligence, au savoir inconscient, à sa responsabilité puisqu’on a commencé par cette histoire de responsabilité. Ce n’est pas la faute de l’éducatrice, ce n’est pas la faute de l’enfant, ce n’est pas la faute des parents. C’est la responsabilité du sujet. Comment rappeler à chacun sa responsabilité de sujet, quand tu critiques tes parents. Qu’est-ce que je fais pour moi ? Pour l’adoption, moi ça m’arrive souvent de demander à ces adoptés adultes ou ces immigrés et vous qu’est-ce que vous faites pour vous même? Vous n’êtes pas content de votre adoption. Vous n’êtes pas content de vos parents adoptifs, de votre mère adoptive, qu’est-ce que vous faites ? Comment vous faites ? Comment vous faites pour vous en sortir ? Pour améliorer votre sort, ça vous voyez c’est plus difficile maintenant. C’est plus facile la critique. Dites-moi ce que vous avez à faire, comment vous pouvez vous en sortir ? C’est beaucoup plus intéressant que de toujours accuser et ça change complètement son regard par rapport à son destin. Il fait comme s’il n’est que adopté et il n’est pour rien. Immigré, je ne suis qu’un immigré, mais non vous n’êtes pas qu’un immigré. Vous avez pris ce bateau. Qu’est-ce que vous faites pour vous-même ? Immigré, c’est pas un destin. Vous n’êtes pas tombé du ciel. Vous avez traversé la mer, vous avez traversé le désert, vous avez escaladé des montagnes, vous avez pris un bateau au risque de votre vie, ne me dites pas que vous n’êtes pour rien dans tout cela. Vous êtes pour quelque chose. Maintenant vous êtes là, comment vous envisagez les choses ? Vous n’êtes pas là pour qu’on pleure ? Jusqu’à maintenant vous avez fait, vous avez pris tous les risques et pourquoi maintenant vous prenez plus de risques puisque vous êtes arrivés. Vous voyez, c’est pour sortir de la plainte et c’est de renvoyer chacun à sa responsabilité .
Francesca Comandini : L’enfant qui naît, il a voulu naître. L’enfant qui naît, y a pas seulement ses parents, mais que lui aussi il a voulu naître. Par rapport à cette question de la responsabilité, que j’avais jamais entendue en tout cas de cette manière, comme ça comme vous énoncez, très précieux finalement et je pense aussi à une jeune femme que j’ai reçue et qui se plaignait justement en disant pourquoi mes parents m’ont mis au monde ou pourquoi les parents font des enfants qui ne veulent pas vivre, et lire ce que vous avez écrit ça m’a beaucoup aidé par rapport à elle. Même dans quelque chose de très exacerbé de la vie et de la mort. Et bien si, en fait si elle a quand même, sans doute, voulu au moins un peu vivre. Il me semble que cette question de la responsabilité commence là. Par rapport à la migration, je pense aussi parfois à l’Italie évidemment comment tous les discours. Comment on fait si peu le pari d’un désir qui est à l’œuvre et qu’on réduit les gens qui viennent à quelque chose du besoin, d’une nécessité, etc. On fait pas l’hypothèse pour eux d’un désir quelque part, même par eux-mêmes ignoré. C’est vraiment très précieux pour cette question. Juste puisque j’ai la parole, pour reprendre la question de la langue maternelle qui me semble très importante, il me semble qu’il y a eu aussi des modes différentes. Je pense évidemment à l’immigration italienne. La frontière avec l’Italie, il y a beaucoup beaucoup d’italiens qui sont venus. Et en deuxième génération, le discours était qu’il ne fallait pas que dans leurs familles ils parlent la langue, leur langue maternelle et donc en particulier les femmes pour, selon le discours qui était à l’œuvre à ce moment-là, pour qu’ils puissent vraiment bien s’intégrer voilà. Et puis finalement on a complément changé par rapport à ce point, mais il y a toute une génération de gens pour qui leur propre mère, parce qu’il a quand même la question de la langue qui est en jeu là dedans, pour qui leur propre mère, en somme, a renoncé à parler à son enfant sa langue, c’est-à-dire à rentrer avec lui dans la langue.
JLSJ : Juste une remarque, Francesca, c’est que ce que tu décris là des immigrés italiens, c’est exactement ce qui se passait en Bretagne.
FS : Mais partout en France .
JLSJ : C’est à dire que dans les familles bretonnes, ils s’interdisaient de parler français à leurs enfants bretons. Parce que justement, pour qu’ils puissent réussir socialement, il fallait qu’il soient élevés dans la langue française. Le breton c’était une langue de plouc au début du XXème siècle. Ils s’interdisaient de parler breton pour ne parler que français. C’est intéressant parce que cela ne concerne pas simplement que les immigrés ce processus-là. Je pense que toutes les langues régionales étaient frappées de la même opprobre.
Bernadette Delorme : Pour en revenir à ce que vous nous disiez de ces enfants qui retournent au bled, je me pose cette question est-ce que justement il n y a pas l’idée finalement de remettre une référence paternelle d'un pays ou d'une langue. C’est-à-dire, on change complètement et on remet l’enfant à un autre parce qu’ici on n’a plus la possibilité de venir donner quelque chose d’une parole, ou d’une loi, ou d’une règle et que du coup au pays quelque chose est là-bas en ordre. Je me pose cette question finalement si ce retour qu’on proposait à ces jeunes était pas pour cela.
JLSJ : Sans doute y-a-t-il l’idée de cette fonction. Ce que je trouve intéressant dans la discussion que nous avons, c’est qu’on décrit des problématiques d’immigration qui peuvent être très différentes l’une par rapport aux autres. Et ce serait sans doute une erreur de penser que c’est homogène cette question de l’immigration. Il y a des tableaux cliniques qui peuvent être très différents et des problématiques qui peuvent être très différentes. Par rapport à ces jeunes-là, ce que je trouve intéressant c’est que le quartier, cela ne fait pas référence symbolique, ce n’est pas une référence culturelle, c’est souvent des jeunes qui n’ont aucune idée de la culture d’origine de leurs parents. Ils n’en ont aucune idée. Ils ne savent pas ce que c’est que la culture arabe ou la culture africaine, ou quelle que soit leur culture d’origine. Le quartier, il me semble, c’est davantage comme décrivait Nazir quelque chose qui relève de cette captation imaginaire, qui est tellement une captation imaginaire qu’ils sont incapables d’en penser quelque chose. Il n’y a aucune réflexivité par rapport à cela. Et les professionnels, lorsqu’ils interviennent auprès d’eux, après des passages à l’acte, sont effarés sur le fait qu’ils n’ont pas de pensées sur ce qui s’est passé. C’est tout à fait étonnant. C’est pas du tout du même registre qu’un jeune qui va, pour des revendications identitaires, s’opposer à la culture d’accueil. Voyez, il y a quelque chose qui là est différent. C’est pour cela que je disais que ce sont des tableaux cliniques qui sont différents et qu’il me semble important de les distinguer. Je disais que, dans la problématique de l’immigration, ce n’est pas homogène il y a des situations très différentes.
Une participante : Oui, mais je pense que le quartier est avant tout un territoire. C’est-à-dire que pour ces jeunes c’est un peu clanique, mais c’est vraiment leur lieu, et je pense qu’à ce moment-là c’est dès que quelqu’un va toucher à ce lieu, ils ont du mal. Mais pour moi c’est vraiment l’ancrage du territoire c’est-à-dire que même si c’est que quelques mètres carrés, mais c’est leur territoire et ils ont () en ayant lu certains nombres de choses à ce sujet. Il y a quand même un phénomène un peu clanique, c’est-à-dire même si effectivement dans ces quartiers, il y a souvent des personnes de différentes origines, mais le territoire est vraiment ancré.
AD : Je trouve que c’est intéressant que vous fassiez émerger ces deux termes de territoire et de lieux. Parce que en effet moi, il me semble que c’est de l’ordre du territoire, mais pas d’un lieu justement. C’est bien parce ce que ce sont des sans lieu, au sens où vous l’avez déplié me semble-t-il. C’est-à-dire ni de pouvoir s’appuyer sur un pays, le pays de leurs parents ou de leurs grand parents pour pouvoir se tenir dans le pays, on va dire, d’accueil de leurs parents ou de la génération du dessus que en effet il y a quelque chose qui est de l’ordre d’une nécessité de faire tenir, de rabattre la question du lieu sur le territoire. C’est-à-dire des frontières réelles presque ,enfin imaginaires qui vaudraient comme , en lieu et place.
JLSJ : Oui, parce que c’est un territoire qui n’a pas de référence symbolique, il n’est quasiment même jamais nommé .
Une participante : Oui, mais pour eux.
JLSJ : Oui, je suis d’accord.
AD : C’est de la topographie, mais pas de la topologie,
JLSJ : Oui c’est de la topographie, mais pas de la topologie.
Une participante : Justement on voit bien qu’on reste souvent ancré dans ce lieu. Ils peuvent très bien aller dans d’autres villes prendre le métro, mais pas forcément ils sont vraiment, comme je dirais, attachés, pour différentes raisons.
JLSJ : Oui, mais bien sûr, avec, du coup, un risque de mort de sortir du territoire. Vous voyez, c’est pas toute la même problématique que ce que Francesca évoquait qui était de la confrontation entre deux cultures et entre deux langues où là il y a un composé, mais il y a des références symboliques, il y a moyen de composer quelque chose, là. Mais là, la difficulté c’est qu’il n’y a pas de référence symbolique. Cela constitue aussi la difficulté pour les professionnels d’accompagner ces jeunes-là. Alors est-ce que la tentative désespérée des parents c’est de penser qu’en les renvoyant, mais d’une certaine façon c’est une réponse réelle, et pas une réponse symbolique ? C’est ça la difficulté.
MR : Je suis en train d’associer, je ne sais pas si je vais pouvoir développer, mais je suis en train d’associer avec la question de la résilience. C’est-à-dire qu’il me semble que dans la question de la résilience qu’il y a quelque chose de l’ordre qu’on nie. On fait comme si. Il y a tout un pan de la vie qui n’existe pas, pour rebondir et repartir. Il y a quelque chose qui reste non-dit, non élaboré, non nommé. C’est impossible à représenter, à reprendre, à réintégrer, etc. Et que du coup, ça peut mettre les générations qui suivent dans l’absence d’une référence à un grand Autre de filiation, comme vous avez évoqué au début. De filiation, de ce fil qui nous unit et que du coup c’est susceptible de provoquer des passages à l’acte. Voilà face à une absence, à ce non-dit qui est là. Parce que c’est ça le propre du passage à l’acte, ça vient au lieu d’une impossible inscription subjective en référence à une filiation. C’est le passage à l’acte qui prend cette place. Enfin, je ne sais pas s’il n’y a pas quelque chose de cet ordre-là, aussi, qui est à l’œuvre ou pas. Je ne sais pas .
JLSJ : La question de la filiation, ça reprend un peu ta question clinique.
FS : Cette question-là, oui alors c’était justement ma question, qui rejoint un petit peu la vôtre sur la question d’un autre ordre, dans un pays d’origine et en occident, on va dire. Et donc, en lisant le livre, c’est vrai que j’ai beaucoup pensé à une patiente que je suis, dans une de mes fonctions. C’est une femme d’origine syrienne qui est partie avec enfants et famille au début de la guerre. Accompagnée de son mari, son mari qui a eu des problèmes de santé en arrivant ici qui n’a pas pu travailler. Donc elle s’est placée en place maternelle, et avec réussite, puisqu’elle a été assistante maternelle une bonne partie de sa vie. Ayant adopté, je dirai, d’autres enfants que les siens de façon quotidienne, voilà. Et un jour il y a une administration qui est passée chez elle, qui a contrôlé. Voila, et le contrôle en fait c’est avéré un peu désastreux pour eux. Puisque qu’ils lui ont retiré l’agrément. Voilà, et donc depuis elle est suivie sur le CMP dans un certain désespoir, et ce qui l’a amenée, petit à petit, à reprendre un autre poste comme AVS dans une école privée où elle s’est occupée, au départ, d’enfants autistes là bas avec une certaine interrogation pour elle. Et cette remise en question, on va dire, de l’administration, des enseignants qui, finalement pourquoi mettre des enfants autistes en difficulté dans les classes comme ça, puisqu’ils ne parlent pas et que moi ma seule peur c’est qu'ils se fassent mal, parce qu’ils se projettent partout, en gros. Comment je fais moi pour ? Et voilà, une critique avec quelque part un certain bon sens. Critique qu’elle fait aussi parce qu’entre guillemets elle est diagnostiquée, suspectée d’un diagnostic de maladie de Fahr. C’est des calcifications au niveau cérébral avec une douleur neurologique variable et où, suivant le médecin qu’elle croise, le diagnostic est d’un côté, balance. Elle se ballade de service en service sans vraiment savoir ce qui lui arrive et donc elle remet aussi : « y en a aucun qui est d’accord, mais qu’est-ce que j’ai moi ? » Quelque chose de l’ordre d’un bon sens. Bon elle, actuellement, son désir c’est de retourner en Syrie, mais avec l’impossibilité à cause de ses enfants qui sont bien intégrés avec des réussites scolaires. Ma question c’était sa difficulté à elle, outre une question structurelle, sa difficulté moi j’ai eu l’impression d’entendre qu’elle avait une difficulté avec un certain ordre phallique, qu’elle ne retrouvait pas ici et que c’est cela qu’elle remettait en cause. Y a pas d’ordre sur quoi je peux me fonder ? Sur quoi je peux m’étayer pour pouvoir tenir ? Moi en tant que mère puisque elle se présente finalement uniquement de cette place-là.
NH : Oui, oui c’est une très belle histoire. J’ai eu l’occasion de recevoir beaucoup de syriens. J'ai donné un peu de mon temps à des patients syriens en leurs demandant un prix symbolique. Et c’est vrai que cette référence phallique est tombée déjà avant le départ. C’est-à-dire la guerre a tout fait tomber. Ils sont arrivés pauvres, ayant tout perdu, mais surtout avec les références massacrées, avec leurs références symboliques vraiment massacrées. J’ai entendu des mots tel que vous savez M. Hamad, les signifiants qui organisaient nos liens sociaux, notre lien social, n’avaient plus aucune valeur. Par exemple, quand j’étais pris par les sbires du régime qui me tapaient et moi je lui disais « au nom de dieu arrêtez » il me disait « voilà pour ton dieu ». Ils me tapaient de plus en plus parce que je me suis référé à dieu. Vous voyez, les signifiants majeurs, signifiant qui édifiaient, construisaient notre lien social sont tombés, nous avons perdu nos valeurs communes. Ils arrivent avec ça, dans l’espoir de trouver auprès des autres quelque chose qui les repêchent, quelque chose qui les soutient, quelque chose qui leur donne à nouveau la force de reprendre. Mais ce que j’ai trouvé d’extraordinaire, les repères continuent à souffrir dans le corps. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de maladies que ces gens ont attrapées, ils passent d’un médecin à l’autre pour savoir quelque chose sur leur état. C’est comme l’histoire de cette femme, qui demandait : mais qu’est-ce que j’ai ? Effectivement, parfois les médecins ne sont pas capables de répondre à cette question, alors que la souffrance est vraie. Je pense, c’est la mort, le meurtre de leurs signifiants qui continue à affecter le corps. Je veux dire, il n’y a plus rien qui nous soutient dans un lien à l’Autre, dans un lien social, dans nos références phalliques, dans nos références à l’ancêtre, mais aussi dans notre corps. Les corps souffrent quand les signifiants sont maltraités. Quand un signifiant majeur tombe, C’est le corps qui ne tient plus, il faut tout reconstruire. Je remarquais que l’immigré commence a trouver une valeur phallique quand il trouve un travail. C’est pour cela que j’ai trouvé que les allemands étaient plus efficaces que les français. Ils se sont organisés pour les mettre au travail le plus vite possible. Alors vous allez apprendre l’allemand. On leur a donné l’occasion d’apprendre l’allemand à minima et on leur a trouvé un travail. Et le fait de trouver un travail et d’être reconnu, aide effectivement la personne à se phalliciser à nouveau. Le plus pénible c’est de se trouver dans la nature et être chassé d’un quartier à l’autre comme cela arrive à Paris par exemple.
JLSJ : Du périph à Paris, à Lyon aussi. Et d’ailleurs, ils sont dans des endroits et c’est pas anodin, ils sont sur les périphériques, au bord des périphériques, c’est le vrai bord-là qui.
NH : Et c’est ça que je ne comprends pas : ou bien il faut les renvoyer, et je comprends cela, ou bien effectivement il faut donnez leur donner les moyens de vivre. Mais les laisser dans cet état-là, je trouve que c’est ce qu’il y a de pire. Moi je comprends si on les chasse en disant revenez chez vous. C’est comme ça, mais les laisser comme ça c’est l’horreur ?
Une participante : Et alors, est ce que les psychanalystes pourraient faire une lettre ouverte pour expliquer tout cela aux gouvernants. De quelle manière la psychanalyse peut s’engager, enfin le psychanalyste.
NH : J’ai écrit plusieurs lettres à Mr le président. Je l’ai fait publier sur internet ou sur Facebook. D’ailleurs, il m’arrive d’utiliser face book pour m’exprimer. Par exemple, la dernière note que j’ai écrite, c’est au sujet des banlieues séparatistes. Qui ne veulent plus être dans la République. Comment les nomme-t-on déjà?
AD : Des zones de non droits.
NH : On a utilisé le terme de séparatistes. C’est la dernière trouvaille qu’on a, les séparatistes, c’est-à-dire les banlieusards. C’est vrai, si vous allez sur l’Ile de Saint Denis, ou si vous allez à Bobigny, la population est à 100% d’origine étrangère. Le différent c’est le blanc. Sur l’île St-Denis, pas un seul blanc. Bobigny c’est 100% d’origine immigrée. Moi, j’ai écrit en disant, écoutez, ayant travaillé quand même dans les banlieues, je vous assure que beaucoup de ces supposés séparatistes ne rêvent que d’une seule chose, c’est d’aller vivre dans un quartier joli, sympathique, où ils bénéficient d’une bonne école, d’un bon voisinage, de bon transport public. Ils ne rêvent que de ça, mais ça ne suffit pas de rêver. Il faut se donner les moyens. S’ils se trouvent là-bas dans une zone « séparatiste », c’est parce qu’il n’y a pas d’autre choix. Mais arrêtons de dire « séparatistes » quand on les sépare. On inverse la question. Ils sont séparés. Ils ne sont pas séparatistes. Vous pouvez écrire autant que vous voulez, personne ne vous entend.
AD : Ça se dit ça, un pays d’adoption, dans le langage.
NH : Oui, ça se dit.
AD : Avec toute l’ambiguïté sur le fait de qui adopte qui et comment ça circule.
NH : C’est-à-dire, ou l’adoption est mutuelle ou ce n’est pas une adoption. Justement je commence à avoir l’habitude, et je trouve ça fait partie d’une façon d’être des français, je ne peux pas dire une phrase, sans qu’on me demande : je viens d’où ? Quand je dis : je suis français, ça ne suffit pas. Il faut rajouter autre chose, français, mais quand je dis je viens du Liban, voilà, c’est fini. Je me dis, à partir de quel moment l’accent ne renvoie plus à une autre origine ? Combien de générations faut-il ? Apparemment beaucoup, parce qu’on on n’arrête pas de répéter des expressions tel que Français de la 3ème génération. Je ne veux pas qu’on qualifie ça de discrimination, parce qu’il suffit que deux français se rencontrent pour les entendre demander: tu viens d’où ?
AD : C’est pour ça que moi j’ai du mal. C’est une question quand même. Parce que du coup, pour le coup, c’est aussi faire une place à l’altérité que de demander à quelqu’un d’où il vient. C’est pas forcément du coté que ce serait pas bien de venir de là et qu’il vaudrait bien mieux être du même coin. Enfin, vous voyez peut être qu’il y a quand même aussi la façon dont c’est, dans quel registre ça circule.
NH : Écoutez, quand ceux qui sont français plus que moi, c’est-à-dire « de souche », se rencontrent ça fait partie de ces questions. Tu viens d’où ? De quelle ville ? Qu’est-ce que tu as fais ? Et ceci et cela. Vous savez, il n’y a pas que la frontière géographique ou culturelle qui séparent. Il y a aussi les frontières internes. Il y a des frontières des quartiers. Il y a les frontières des villes et cela aussi peut séparer.
JLSJ : Il y a la frontière subjective.
NH : Voilà, au point que chaque ville à ses connotations. Arrête de parler comme un marseillais ou t’es pire que l’auvergnat. C’est ça, ça fait partie des frontières intérieures.
JLSJ : Ce que vous pointez très bien dans ce livre, qui répond à la question d’Annie me semble-t-il, c’est que cette altérité elle est de structure, pour chacun, par rapport à l’autre et par rapport à soi même. Mais que justement lorsqu’on est adopté ou lorsqu’on est immigré ça vient la positiver et c’est cela qui peut faire problème.
NH : A l’objectiver !
JLSJ : Ou à l’objectiver, on peut dire aussi à l’objectiver. C’est ça qui fait difficulté. Là où ça reste une énigme pour chacun, cette altérité. Là, c’est comme si ça venait faire explication. Or justement, c’est un piège. Vous le décrivez très bien dans le livre. C est le piège qui est tendu à l’immigré ou à l’enfant adopté. C’est d’objectiver cette altérité, qui en fait est une altérité comme tout un chacun, c’est tout, pas plus pas moins. Ça vient faire explication, si je ne me sens pas en adéquation avec moi-même, c’est parce que je suis adopté ou c’est parce que je suis immigré. Ça vient faire explication et recouvrir, du coup, ce à quoi on a tous à faire, faire avec notre altérité.
NH : Parfois on l’utilise exprès.
JLSJ : Oui , y en a qui s’en servent, c’est ce que tu veux dire.
NH Je vais vous raconter une anecdote. Quand j’étais étudiant à Tours, je venais de débarquer et j’aimais me balader pour découvrir la ville. J’étais avec un copain syrien. On est passé devant un jardin. Il y avait un cerisier magnifique, avec les branches qui pendouillaient sur le trottoir. Avec le copain, on n’a pas pu résister. On a cueilli chacun une bonne dizaine, mais on ne s’est pas rendu compte qu’une femme nous voyait faire. Elle est venue à notre rencontre. C’était son cerisier. Cette femme nous a pris sur le fait, en train de voler des cerises. Et je suis allé vers elle et je lui ai dit : « Mme comment vous appelez ces fleurs ? » Et ça a marché. Vous ne pouvez pas imaginer comment ça a marché : « Mais monsieur c’est sont des fruits et ça se mange, goûtez, goûtez. » Voilà, est-ce que c’est de la mauvaise foi ? Est-ce que c’est de la ruse ? Est-ce que c’est ? Et voilà comment la différence on peut l’employer aussi pour se sortir d’une mauvaise passe. Melman le dit bien comment, en se féminisant, aussi c’est une façon de s’en sortir. Quand tu commences à parler comme en petit nègre, comme on voit dans tintin, on accepte de se féminiser pour sauver sa tête.
JLSJ : Cela me fait penser à un fait divers, qui s’est passé, il y a déjà pas mal d’années, dans les transports en commun à Rennes. Il y a une dame, assez âgée, qui entre dans un bus. Elle va directement à la place où était assis un noir et elle lui dit très fort pour que tout le monde l’entende : « Chez nous monsieur, on laisse la place aux personnes âgées ». Et le jeune homme qui était assis à cette place-là, lui répond tout aussi fort, également pour que tout le monde entende : « chez nous madame, on les mange ». L’ensemble du bus a éclaté de rire et la dame est allée penaude s’asseoir ailleurs. Tu vois quand on utilise l’humour. Bon, c’était fort à propos. Est-ce que c’est de l’intégration, de l’adaptation, ou autre chose ?
NH : Tant qu’on peut l’utiliser comme humour, c’est une bonne intégration. Je trouve que l’humour est un bon signe d’intégration.
Un participant : Et puis si on mange les vieux, on peut manger les cerises.
NH : Moi, je préfère les cerises !

JLSJ : Est-ce que, pour ceux qui sont à distance, par zoom, vous auriez des questions, des remarques ?
Une participante : Oui, bonjour M. Hamad. Merci M. de Saint-Just et bonjour à tous. En fait, nous en sommes arrivés là où dans votre exposé, au tout début, vous nous parliez de la question de la haine fondamentale à l’autre, et qui nous renvoyait à la question de l’insatisfaction originaire dans la relation de la mère à l’enfant qui doit bien entendu faire le deuil de la satisfaction et d’un idéal aussi le deuil de l’objet perdu, l’objet manquant. Et donc prendre en compte cette impossible satisfaction pour chacun de nous, qui est certes la question du manque, manque qui laisse à désirer. Et je trouve là très bien cette petite anecdote, M Hamad, sur la question, sur la cueillette des cerises, puisque dans la manière dont vous êtes allé vers cette dame pour lui présenter ces fleurs vous avez fait, tout simplement acte de création. Justement en ramenant la cerise à l’originaire de la fleur sur l’arbre. Nous sommes au printemps. Les cerisiers seront bientôt tous en fleurs et je me dis pour terminer sur une belle fin parce qu’on est vraiment dans une période très difficile. Ben voilà, j’avais tout simplement envie de mettre à l’honneur, aujourd’hui, la question de la création, la création pas que la création artistique. Ben nous sommes tous entre psychanalystes donc forcément nous sommes tous créateurs. Et je pense, qu’avec la question qui était abordée aujourd’hui, sur l’adoption, sur l’immigration et puis quand bien même sur toutes les problématiques qui se posent aujourd’hui dans notre monde. Voila, la création à mon sens est ce qu’il y a lieu de mettre le plus en avant et puis je pense surtout de la faire intégrer aux enfants et justement d’apporter cette création comme déjà cela se fait dans les banlieues pour leur ouvrir le regard sur l’extérieur de leur quartier qu’ils n’ont pas. Voila je vais m’arrêter là, merci beaucoup.
NH : Je trouve que vous venez de soulever un point essentiel. En tout cas, c’est ça qu’on attend des gens qui arrivent chez nous, on espère qu’ils vont créer quelque chose. Ils vont faire quelque chose de leur savoir faire, de leur culture et de leur originalité. D’ailleurs, en France la culture doit beaucoup aux immigrés qui l’ont enrichie. Quand vous regardez le cinéma, la littérature, le théâtre vous trouvez que les immigrés y ont apporté beaucoup. Ils continuent à apporter quelque chose, ils créent. Et je pense que c’est la meilleure façon pour eux d’entrer dans une culture et d’y avoir leur place. C’est vrai ce que vous dites , quand vous regardez l’apport de ces immigrés, dans la culture française, vous comprenez qu’il y en a pas mal. Regardez les noms d’auteurs sur les livres, le cinéma, le théâtre. En ce moment, Wajdi Mouawad c’est extraordinaire. C’est quelqu’un d’incontournable en France et dans le monde entier. Vous connaissez ? Bien sûr que vous connaissez Mouawad. Il faut faire confiance que ceux qui viennent chez nous, ils ont quelque chose à nous apporter et ça fait partie de ces hypothèses que chaque pays devrait faire dans l’accueil de ces immigrés. Et pas seulement partir de l’ hypothèse qu’ils sont là pour nous emmerder, pour nous empêcher de vivre tranquillement. C’est aussi une hypothèse, une hypothèse qui empêche ces gens d’apporter ce qu’ils pourraient vraiment. Maintenant ce que j’ai appris d’un dernier voyage en Allemagne, parce que je vais souvent en Allemagne. Les gens qui cherchent des ouvriers. Les allemands, ils demandent souvent est-ce que vous avez des syriens ? Vous savez pourquoi ? Parce qu’ils ont découverts que les syriens sont travailleurs, sont sérieux, sont inventifs.
FS : En fait, il faut aller à la maraude avec les libanais.
NH : Oui. Les libanais ce qu’il y a avec les libanais, ils s’insèrent. Ils s’intègrent à la première génération.
Un participant : J’ai une question, monsieur, puis je savoir pourquoi il y a eu deux tomes à votre livre ?
NH : Ah oui, à l’origine, je vous dis cela entre nous, à l’origine c’était un seul tome, psychologie de l’immigration. L’éditeur l’a lu et il a décidé d’en faire deux livres. Il y a deux thèmes essentiels. Faites-moi confiance, je vais faire deux tomes et séparer l’adoption et l’immigration en maintenant le fils conducteur. C’est-à-dire, même si le deuxième tome parle plus de l’adoption, il maintient le fil conducteur du premier tome. Voilà donc, c’est l’éditeur.
JLSJ : Merci Nazir et merci à tous de votre participation.