Anne JOOS et Pierre MARCHAL : LES CONDITIONS DU COUPLE : 10/04/2015

    JOSS AVRIL 151Anne Joos, psychanalyste & Pierre Marchal psychanalyste, docteur en philosophie ; Belgique    

 Introduction de Monsieur Jean-Luc de Saint Just :

      Dans l’argument est évoqué le fait que pour faire couple il faut un troisième. Quel serait ce troisième ? Est-ce l’inconscient ? Est-ce le symptôme ? Le fantasme ? L’objet ? Et ce n’est pas sûr que dans tous les couples ce soit la même chose.


Il est évoqué aussi que l’amour ne suffit pas. Mais là aussi on peut se poser la question de quel amour parle t-on ? Est-ce que l’amour c’est au singulier ou est-ce qu’il y a des amours qui sont différents ? Le projet de Freud c’était qu’à l’issue d’une analyse on puisse s’amender des affres de l’amour et de la haine qui va avec. Et pourquoi ? Peut-être pour privilégier le désir ? Comme le fait remarquer Charles Melman dans ses conférences avec Marcel Gauchet sur « la maladie d’amour », Freud n’y est pas bien parvenu à s’amender de l’amour et Lacan suivra une autre voie, justement celle que l’on met au travail dans notre association cette année « l’insu que sait de l’une bévue s’aile à mourre ». La voie de Lacan ce sera de savoir si c’est possible d’inventer en tirant partie de ce que nous amène la psychanalyse un amour qui pourrait être nouveau. C’est-à-dire dans lequel on ne retrouverait pas les difficultés si facilement rencontrées. Donc la question se pose vraiment de savoir de quel amour parlons-nous ? Et la question se pose aussi de ce qui fait tenir un couple et dans ce séminaire « l’insu » d’ailleurs, dans la leçon VII, Lacan évoque que ça pourrait bien être la reconnaissance d’un savoir qui fait tenir un couple ou de deux savoirs qui ne se recouvriraient pas. Alors c’est peut-être ce qu’on va entendre ce soir un savoir ou deux savoirs … Allez savoir !

 

Intervention de Madame Anne Joos


      Je vais vous remercier, Annie et Jean-Luc, de nous avoir invités et vous remercier tous d’être là puisque si j’ai bien compris c’est le début des vacances et malgré cela vous êtes là ! Alors… les conditions du couple aujourd’hui.
Il y a un problème de paternité au niveau du titre : je viens de rappeler à Pierre que c’est lui qui avait trouvé ce titre et il ne s’en souvient plus et peut–être s’en souviendra-t-il en cours de soirée. Je sais qu’il avait insisté sur le pluriel. Ce n’était pas la condition mais les conditions, on y reviendra.
Alors je voulais aussi vous remercier de l’illustration annonçant notre venue ce soir, d’abord parce que c’est un tableau de Van Eyck… Je suis Brugeoise, alors tout ce qui touche à Bruges me touche de près. Van Eyck n’est pas né à Bruges, il y a vécu et est décédé à Bruges. Le couple qu’il peint, c’est intéressant… Pierre a trouvé toute une série de choses à propos de ce tableau. Il s’agit d’une femme enceinte. Comme je travaille beaucoup en maternité, c’est un autre clin d’œil, Mais ce que vous ne savez pas c’est que … sur le tableau ; c’est Pierre qui me l’a dit tout à l’heure, c’est que sur le tableau il y a un petit chien, vous savez ce que c’est le chien ?

 

Pierre Marchal : C’est le symbole de la fidélité ! Le meilleur ami de l’homme !! Non non ça c’est le cheval !

 

Anne Joos : Voilà ! Tout ça c’était pour faire un petit peu… Jean-Luc me demandait tout à l’heure « est-ce qu’on va rire ce soir ? » moi je vais ramener des choses pas très rigolotes donc on va commencer. Je vais commencer par cette affaire-là : y a 20 ans on avait publié un Bulletin Freudien sur la clinique du couple et j’avais écrit un article qui commençait ainsi : « Qu’est-ce qu’un couple ? » j’avais écrit ça chez nous en Belgique en 93 pour vous. Et puis je poursuivais en écrivant : « Osons une hypothèse : le couple contemporain serait fondamentalement pervers. Je veux dire orienté vers la maîtrise d’une jouissance à deux et non plus traversé par le passage du 2 au 3, à savoir la reproduction, la transmission de la vie, d’un héritage culturel, bref d’une lignée. Il s’agirait d’un couple dont le symptôme majeur serait la stérilité et puisque cette stérilité est le symptôme du couple et qu’elle manifeste une faille dans la maîtrise, elle est devenue sans doute aujourd’hui insupportable. ». Cela date d’il y a 22 ans et je me demandais si nous écririons cela encore aujourd’hui ? Je retiens quand même cette petite phrase là dans ce petit paragraphe « fondamentalement pervers c’est-à-dire orienté vers la maîtrise d’une jouissance à deux et non plus traversée par le passage du deux au trois. »
Pour mon propos je vais essayer de travailler cette question de l’amour à partir de deux textes d’un psychanalyste Liégeois : Christian Demoulin - que je pense que vous n’avez pas connu, il est décédé il y a quelques années. Il a fait partie, très tôt, des Forums du champ lacanien. Deux textes, dont l’un est publié dans le livre de Jean-Pierre Lebrun  Les désarrois nouveaux du sujet  et qui s’intitule L’amour dans le discours du capitaliste et l’autre qui s’intitule Perversion et discours du capitaliste, article publié dans un livre posthume  Se passer du père ?  dans la collection de Jean Pierre Lebrun, Humus. Christian Demoulin rappelle dans ses deux articles le saut que fait Lacan dès le séminaire IV  la relation d’objet , saut de l’œdipe freudien, comme meurtre du père, à l’interdit de l’inceste, dont la portée est universelle et dont le complexe de castration se révèle essentiel dans la pratique analytique. La castration que Lacan définit comme symbolisation du manque du phallus imaginaire, symbolisation dont l’agent est le père réel, soit le partenaire de la mère en tant qu’investi de la fonction paternelle. Donc un père réel qui n’est l’agent de la castration qu’en tant que c’est par lui que ça passe. Mais Lacan précise que la castration est le fait du signifiant et dans l’Envers il rappelle : ‘la castration c’est l’opération réelle introduite de par l’incidence du signifiant quel qu’il soit, dans le rapport du sexe’, c’est le signifiant qui interdit la jouissance primordiale en substituant le mot à la chose. Le père réel n’étant au fond que l’agent du signifiant maitre. Alors dans l’Envers toujours, Lacan propose de substituer à l’œdipe freudien sa théorie des discours et je ne reprendrai pas ici la théorie des 4 discours mais je reprendrai ici à partir de l’article de Christian Demoulin les spécificités du discours capitaliste.
Je l’ai noté là sur le tableau derrière vous et vous remarquerez la différence entre le discours du maitre et le discours du capitaliste : la différence se situe sur le côté gauche du schéma où il y a une inversion : S barré vient dans le discours du capitaliste au-dessus de la barre et S1 passe en dessous de la barre avec une inversion également au niveau des flèches, ce qui fait que la circulation fonctionne autrement. Je reprendrai les 4 points que Christian Demoulin reprend dans cet article et qui pour lui spécifient ce discours du capitaliste qui vont nous aider à penser les incidences que cela aura au niveau de l’amour.


      4discours    
1. Donc le sujet qui est mis en place d’agent dans le discours du capitaliste, est un sujet qui est débarrassé, [il est là au-dessus], c’est un sujet qui est débarrassé, nous dit Christian Demoulin, de son assujettissement à son histoire et à sa généalogie, et un sujet libéré de toute inscription signifiante. Alors c’est ça cette torsion de ce discours, c’est que le discours du capitaliste tend à transformer le prolétaire qui lui, était en position d’esclave écrasé sous le discours du maître, ça transforme le prolétaire en libre consommateur. On aurait pu penser, ajoute-t-il, que le discours capitaliste en alliance avec la démocratie politique, c’est-à-dire le capitalisme libéral, aurait pu venir compenser l’exclusion, la forclusion du sujet par le discours de la science, qu’il n’y aurait qu’à réguler l’économie de marché et comme ça tous les prolétaires deviendraient des consommateurs heureux. Mais il se fait que ça ne marche pas ainsi, ça peut marcher ainsi théoriquement, mais et Lacan le souligne dès 72 dans Le savoir du psychanalyste, Lacan dit « non c’est intenable, ça marche trop vite, ça se consomme ça se consume ». C’est intéressant parce que ce qu’on entend quand même, c’est que dans ce discours au fond ce qui se met en place c’est la forclusion de la castration ce que Jean-Pierre Lebrun a développé dans ce livre intitulé Un monde sans limite et celui-ci, Les désarrois nouveaux du sujet est la suite clinique d’Un monde sans limite. Vous entendez aussi les signifiants : ‘consommateur- consommer- consumer’ et nous ne serons pas étonnés d’entendre que se répand aujourd’hui ce nouveau mal diagnostiqué ‘burn-out’, dont nous pouvons penser qu’il se développe en écho à ça.
2. Alors deuxième point important, dans ce discours le sujet consommateur n’est en position d’agent que comme semblant d’agent, avec un semblant de liberté : il est commandé non plus par le signifiant maître mais il est commandé par le plus-de-jouir. Au fond, ça donne un sujet ouvert à la toxicomanie d’achat en tout genre de tous les plus-de-jouir ‘prêt-à-porter’ de notre société de consommation et je dirais que je suis bien placée pour savoir que même la médecine induit de nouvelles addictions sous l’influence conjuguée d’une part de la demande de bonheur des consommateurs et d’autre part de l’industrie pharmaceutique. Pour ceux qui ne le savent pas, je travaille dans un Hôpital général depuis un certain nombre d’années et plus particulièrement en maternité et au service de Procréation Médicalement Assistée avec l’équipe de médecins, infirmières et biologistes. Et en rédigeant ce texte je me rappelais que durant les 10 premières années durant lesquelles j’ai travaillé avec cette équipe, les demandes des couples et plus particulièrement les demandes des femmes concernaient au fond, l’arrêt des traitements, c’est intéressant : quand il y avait une demande de me rencontrer, ça concernait l’arrêt des traitements. Car la demande réitérée par beaucoup d’entre eux, plus particulièrement par les femmes, était que le médecin prescrive l’arrêt.
Tel que, je ne sais pas si certains d’entre vous, je ne l’ai pas amené, ont pu lire cet ouvrage de Pierre Benoît Chroniques médicales d’un psychanalyste, d’un médecin généraliste, et plus particulièrement Le médical et le désir d’enfant, chronique d’une stérilité,(Rivages, 1988), c’est l’histoire d’un médecin qui a en même temps une formation psychanalytique et qui reçoit un jour une dame dans son cabinet. Cette dame arrive avec un dossier gros comme ça - et c’est une dame qu’il connait parce qu’il était le médecin généraliste de sa famille - elle vient consulter en disant : « Docteur je ne sais plus ce que je dois faire j’ai fait tous ces examens… », elle vient avec son dossier médical, c’est un couple qui a déjà un enfant et ils n’arrivent pas à avoir un deuxième enfant, je ne peux pas vous résumer tout ce petit article de quelques pages, mais souligner la position du médecin qui va être la suivante : il va la regarder et il va s’étonner de cette demande parce qu’il se rappelle que cette femme était une jeune fille assez active, engagée dans sa vie et il ne comprend pas trop ce qu’elle fabrique là avec ce dossier ! Il ouvre ce dossier d’abord pour vérifier que tous les examens ont été bien faits et il tombe sur une courbe de température de plusieurs mètres – un graphique comme les femmes peuvent faire pour noter tout ce qui se passe au niveau hormonal, les règles les jours où le couple a un rapport sexuel - il s’étonne de tout ça il referme le dossier et il lui dit : « j’ai une proposition à vous faire » ; La dame est un peu étonnée, il prend sa poubelle et puis il dit, « voilà ma proposition c’est que vous mettiez ce dossier-là ». Une prescription accompagnait cette proposition : « faites l’amour sans plus jamais rien noter sur une feuille », c’était dit. Et au fond la suite de l’article est assez surprenant : quelques semaines plus tard elle lui téléphone en lui disant « Docteur, je ne sais pas ce qui se passe il faudrait faire des examens parce que je ne suis plus réglée » … Elle n’avait toujours pas compris qu’elle était enceinte. Les effets de son rapport à la médecine, les traitements l’avaient déconnectée de son savoir insu, de son questionnement subjectif aussi.
Je dois remarquer que dans la médecine technoscientifique les médecins eux-mêmes sont pris par le discours du ‘toujours possible’, rien ne fait arrêt, rien ne fait limite. Les femmes que je rencontrais devaient endosser subjectivement la décision de l’arrêt des traitements, et renoncer au projet d’avoir cet enfant. Renoncement qui en même temps est le mouvement nécessaire à ce que se remette en route le réinvestissement libidinal, investissement d’objet et donc de désir. C’est ça qui est intéressant, à savoir que renoncement et réinvestissement ne sont pas sans effets féconds. On en connait tous des exemples cliniques. Et c’est assez fou au fond de penser que ces traitements ont un effet - je ne sais pas si on peut le dire ainsi en français – ‘stérilogène’, au moins stérilisant, du moins quant à l’économie désirante avec les conséquences tant sur le plan du conjugo que sur le plan singulier. Ce qui est aussi intéressant à remarquer c’est qu’ au bout de 10 ans, la limite a fini par s’imposer, non de l’angle de la médecine mais bien émanant de l’angle économique de notre société : ces traitements de PMA sont rentrés dans l’économie du remboursement par la sécurité sociale qui elle impose une régulation et donc une limite. Voilà, on finit par la retrouver quelque part, mais pas nécessairement là où on pensait la retrouver.

3. Troisième point dans ce discours du capitaliste, le sujet libéré de la contrainte signifiante, nous dit Christian Demoulin, l’est d’autant plus, est d’autant plus désarmé devant les figures du temps, pas le temps de la météo, encore que là c’est vrai parfois il y a des débordements qui sont interprétés comme catastrophes, mais Christian Demoulin, souligne un autre temps, le temps du vieillir, le temps du mourir… le temps qui permet de s’inscrire dans la succession des générations, au point, dit-il ‘que la place de l’enfant en est affectée’ et cela me parait une question importante : comment ce discours du capitaliste vient affecter la place de l’enfant, on y reviendra. En tout cas, à l’hôpital je suis frappée par la façon dont les couples que je rencontre sont désarmés devant la question du mourir. Bien sûr en maternité, c’est compliqué, parce que la mort concerne la mort de leur enfant et ce n’est pas leur bouleversement devant la mort de leur enfant qui est interpellant, ce n’est pas leur chagrin devant la mort de leur enfant qui est interpellant, c’est que la mort semble ne plus avoir de place dans leur représentation, comme si les rites qui habituellement l’accompagnent n’avaient plus de place non plus.
[Je fais une petite incise car on organise une journée sur la question des rites à Bruxelles en novembre dans le cadre de l’EPHEP, parce qu’il y a comme une nécessité à devoir repenser ces choses-là.]
D’ autre part, et toujours du lieu de ma clinique, il n’est pas rare et c’est un euphémisme de le dire ainsi, de rencontrer des couples qui approchant la quarantaine et même d’avantage, réalisent soudain qu’il leur faudrait aussi un enfant et j’insiste sur le aussi. La question c’est quoi ? Est-ce que c’est parce que leur propres parents vieillissent voire décèdent et que l’ombre de leurs propre mort surgit ? Est-ce que c’est parce qu’ils ont foncé le nez dans le guidon dans la machine à produire et à consommer ou est-ce l’objet enfant qui manque ? En tout cas en entretien ils font l’inventaire de tout ce qu’ils ont : une maison, un CDI, une belle fonction, il n’y a que l’enfant qui leur manque et on entend que cet enfant pourrait bien être mis en place de pare-vieillesse. Un enfant surinvesti comme pare-vieillesse, un enfant à qui on donnera tout. C’est comme ça qu’ils en parlent. Un enfant à qui il faudra qu’il ne manque de rien, un enfant aussi de qui il est attendu qu’il vienne relancer aussi la question du couple et du désir conjugal aussi, qui dans ce monde d’illusion où rien ne manquerait, s’effrite. On connait le nombre de couples qui se défont à l’arrivée d’un enfant, tant les nouvelles positions maternelle et paternelle viennent toucher de près à la question du désir et à la façon dont il est noué ou non à la loi. Mais je constate aussi, le nombre de couples qui se défont quand les enfants s’envolent du nid, révélant ainsi le vide ou l’arrêt de désir conjugal, désir qui s’est déplacé je dirais du conjugo à l’enfant ; mais la question se pose alors de quel désir il s’agit ?
4. D’autant plus et c’est à ce quatrième point que je voulais en arriver, que le lien social promu par le discours capitaliste est celui d’une volonté de jouissance et l’on retrouve ce propos que j’avais écrit il y a 22 ans, le couple orienté par une volonté de maîtrise dans la jouissance. C’est un concept que Lacan introduit dans l’Envers de la psychanalyse mais ensuite, dans un texte paru dans ‘Les lettres de l’Ecole Freudienne’, il déconseille de s’engager sur cette voie, il trouve que ce concept de volonté de jouissance n’est pas heureux. Pour ceux qui le souhaiteraient, je pourrais vous donner les références de ce texte-là.

Alors, comment dès lors penser l’amour ?
Christian Demoulin est pessimiste dans son article. Pour lui, l’amour n’a plus sa place dans le discours capitaliste, que ce soit dans la production ou dans la consommation. L’amour, en tous cas tel que je peux l’entendre, comme temporalité de la rencontre, comme ce qui permet que soit parlé le désir, et j’avais en tête cette belle chanson, enfin moi je trouve que c’est une belle chanson, écrite par Jean Renoir en 1924 et chantée par Lucienne Boyer en 1930 que vous devez connaître : « Parlez-moi d’amour, redites moi des choses tendres Parlez-moi d'amour

 

Redites-moi des choses tendres
Votre beau discours
Mon cœur n'est pas las de l'entendre
Pourvu que toujours
Vous répétiez ces mots suprêmes
Je vous aime
Vous savez bien
Que dans le fond je n'en crois rien
Mais cependant je veux encore
Écouter ces mots que j'adore
Votre voix aux sons caressants
Qui les murmure en frémissant
Me berce de sa belle histoire
Et malgré moi je veux y croire
(Refrain)
Il est si doux
Mon cher trésor, d'être un peu fou
La vie est parfois trop amère
Si l'on ne croit pas aux chimères
Le chagrin est vite apaisé
Et se console d'un baiser
Du cœur on guérit la blessure
Par un serment qui le rassure
(Refrain)

 

… J’ai relu le texte de cette chanson et c’est assez intéressant parce que - je veux pas vous la réciter complètement vous la connaissez - par exemple le verbe croire il revient trois fois dans cette chanson. On entend bien que l’amour ça a quand même à voir avec croire en ce que l’autre dit, que si il y a quand même un petit …. Comment elle dit ça : « vous savez bien que dans le fond je n’en crois rien, mais cependant je veux encore écouter ces mots que j’adore ». On entend bien ce jeu de l’amour. Je pense que c’est important cette question du jeu dans l’amour, le jeu tel qu’on peut l’entendre en mécanique : on sait bien en mécanique quand y a pas de jeu ça va se gripper. Donc qu’il y ait du jeu. Comment on introduit du jeu dans cette question de l’amour ? Je reviens à notre titre, je crois que quand même l’amour, ça a de l’importance. Parce que si [rire] parce que quand même on a déjà déconnecté la sexualité de la procréation, si en plus on déconnecte la sexualité de l’amour !... Alors quoi ? C’est quand même une question… Reste alors une sexualité … là je retombe sur l’article de Christian Demoulin, libérée par le discours du capitaliste mais on sait bien la difficulté pour nombre de nos sujets contemporains puisque c’est une sexualité qui s’appuie alors d’avantage sur une rivalité compétitive et sur une consommation plutôt que sur un choix d’objet stable. On voit bien que se développe une sexualité sur la base d’un axe imaginaire (a-a’) et où et comment vient alors ce tiers dans le lien à l’autre. C’est une vraie question et Demoulin termine son article en soulignant que cela rend difficile la psychanalyse puisqu’elle-même est fondée sur la relation de transfert dont l’amour est le ressort. Je vous lis juste un petit passage, quelques lignes : «Ne faut-il pas considérer que le borderline n’est rien d’autre que le libre sujet du discours du capitaliste résultant de l’inversion des rapports entre le sujet et le signifiant maitre et fonctionnant sur la forclusion de la castration et le rejet de l’amour. C’est rejet de l’amour qui fait obstacle au transfert mettant en échec la cure psychanalytique ». Voilà.
J’avais d’autres petites remarques, mais je me dis que je vais provisoirement m’arrêter là et que je vais laisser rebondir… Et puis on verra … Si possible ou pas !

 

Intervention de Monsieur Pierre Marchal

 

Puisque Anne a évoqué une chanson je vais à mon tour vous chanter un petit couplet, une autre chanson, une belle chanson d’ailleurs que vous connaissez certainement - elle est d’Edith PIAF je pense - et qui commence comme ça : « quand on a que l’amour … » 1 . En préparant ce que je voulais vous dire ce soir et en pensant à cette chanson, je me disais que, si on n’a que l’amour, on est mal barré. Evidement, en associant ainsi, non pas l’amour mais le « que l’amour » au « mal barre », je me référais à une certaine idée, à une certaine dimension de l’amour, qui est celle de l’imaginaire et qui relève au fond de l’amour narcissique, cet amour dont l’enjeu est le moi dans l’autre. Je pense par ailleurs, comme Jean-Luc l’a rappelé, qu’il y a différentes formes d’amour, et qu’il y a en a au moins trois. Pourquoi trois ? Parce qu’il y a le réel, le symbolique et l’imaginaire.

Je dois vous dire que ma préoccupation dans le champ de la psychanalyse, c’est d’essayer de mettre ensemble, de relier trois choses. La première, c’est cette trilogie RSI qui apparaît dès le début de l’enseignement de Lacan, en 1954, quand il commence son séminaire public : il fait une conférence intitulée  Le symbolique, l’imaginaire et le réel. On peut la lire dans le Bulletin de l’Association Freudienne, n°1, novembre 1982.. Il y déploie ces trois dimensions, et vous savez comment il l’écrira ensuite « dit-mension ». Ces trois dit- mensions du « parlêtre ».
Vous savez qu’il reprendra cela beaucoup plus tard avec la question du nouage borroméen qui est une trouvaille absolument géniale puisqu’il s’agit que ces trois dimensions soient nouées. Il n’y donc pas du tout comme certains peuvent le penser et même comme Lacan lui-même a pu le penser, une sorte de prédominance d’une dimension sur une autre. Comme si nécessairement le symbolique devait être pensé comme étant prédominant par rapport à l’imaginaire, et que beaucoup de nos ennuis viendraient effectivement d’un imaginaire qui prévaudrait sur le symbolique. Avec le nouage borroméen, nous avons une tout autre perspective de ces trois dimensions. C’est cela la première chose qui m’importe.
      noued 2
La deuxième chose, au fond c’est un autre type d’écriture que Lacan a déployé : la théorie des quatre discours dont Anne vient de parler - je mets de côté le discours capitaliste pour l’instant. Les quatre discours : le discours du maître, le discours de l’hystérique, le discours de l’universitaire, et le discours de l’analyste.
(cf. schémas précédents dans l’intervention d’Anne Joos)
Enfin, il y a une troisième écriture, celle du tableau de la sexuation.


                 Tableau sexuation 1

 

Ces trois écritures, on en parle généralement d’une manière assez indépendante l’une de l’autre. On parle soit du nœud borroméen, soit du tableau de la sexuation, soit des discours. Comment serait-il possible de les penser d’une manière un peu plus réunie, un peu plus nouée? Je ne sais pas pourquoi je vous parle de cela, mais c’est ma préoccupation de fond. Et sans doute dans la foulée de ce que j’évoquais en commençant de ces trois sortes d’amour : l’amour imaginaire, l’amour symbolique et l’amour réel.
Mais ce que je voudrais amener ici c’est que l’amour n’est pas une condition du couple. Il en est un effet ; il en est un effet d’acte. C’est pour cela que je trouve que la formule que tout le monde utilise, sans trop savoir ce que l’on dit, « faire l’amour », c’est de cela qu’il s’agit. C’est cela que je tenterais de privilégier du côté de l’amour dans le couple. Qu’est-ce que fait un couple ? Quel est l’acte du couple ? C’est l’amour ! Et entendez-le au sens commun de ce que veut dire faire l’amour : baiser quoi ! Ce n’est donc pas de l’amour imaginaire qu’il s’agit, mais bien d’un amour en acte. Donc, le sexuel ! Je pense qu’aujourd’hui si l’on devait interroger les gens sur la condition du couple, ils répondraient effectivement l’amour, mais en le déconnectant totalement de la question du sexuel. Or je pense qu’il faut ramener la question du sexuel au centre de la question du couple.
C’est évidemment une affaire freudienne, puisqu’au fond le génie de Freud en inventant l’inconscient c’est aussi de mettre en avant ce qu’on a appelé la sexualité infantile. Qu’est-ce que c’est que cette sexualité infantile ? Cela veut dire que nous n’attendons pas d’être mature, d’être génitalement outillés pour faire l’amour, pour déployer une véritable sexualité. La sexualité c’est quelque chose qui est inscrit fondamentalement dans la question du « parlêtre ». Il n’y a pas de « parlêtre » qui ne soit pas traversé par la question du sexuel, d’une manière ou d’une autre ; que ce soit par un déni, par une forclusion, que ce soit par un refoulement. C’est pour moi, là, une conviction forte. Je pense que l’on ne peut pas renoncer quand on est psychanalyste à la question de la priorité du sexuel. Vous voyez bien que je vais vous parler du sexuel parce que je tente de vous parler du couple. Parce que je pense que le couple c’est deux « parlêtres » qui actent l’amour.
Ce que Lacan nous a permis, le pas en plus qu’il nous permet de faire à partir de la découverte freudienne, c’est que cette question du sexe est traversée, subvertie par la question du langage. Le sexe n’est pas une affaire de biologie.
J’ai été longtemps enseignant universitaire en Belgique, philosophe. Et J’ai eu la chance de rencontrer dans mon parcours universitaire un homme qui m’a beaucoup appris, qui était psychiatre et psychanalyste, Jacques Schotte. Il enseignait la psychologie clinique et la psychanalyse à la faculté de psychologie. Nous animions un séminaire à plusieurs sur les questions d’épistémologie des sciences humaines. Un jour il m’a demandé si je voulais bien me charger d’un cours qui s’intitulerait « Anthropologie biologique ». Son idée était de mettre en évidence cette subversion du sexe, du corps, du biologique, par le langage. Essayer de tirer les choses de ce côté-là, de voir un peu quels sont les effets de cette subversion, que la biologie humaine n’est pas simplement la biologie animale d’une espèce particulière : homo sapiens sapiens. J’ai accepté ce défi et j’ai essayé, avec mes pauvres moyens, d’articuler quelque chose de cela. J’ai donné ce cours pendant trois ans et puis la faculté, Schotte prenant de l’âge et perdant de l’influence, on m’a reproché que ce cours était trop philosophique. Ce qui est curieux de faire un tel reproche à un philosophe. On m’a fait savoir que l’on allait séparer le cours en deux et m’adjoindre un collègue biologiste. Pour faire un peu sérieux, car venir parler du corps chez Tomas D’Aquin et évoquer une des questions que je jugeais importante – je reconnais que c’était un peu provocateur - de la théologie scolastique : la question de savoir si les anges avaient un sexe. C’est quand même extraordinaire, rien que de se poser cette question, c’est venir subvertir tout à fait cette affaire du corps humain à partir de la question du sexe : le sexe, ce n’est pas le corps ! Ce n’est pas quelque chose qui est déterminé seulement par le corps, puisque les anges n’ont pas corps, mais ont-ils un sexe ? Et d’ailleurs, parlent-ils ? Ils ne parlent pas, mais ils communiquent dans une sorte de totale transparence2. Bon, je ne vais entrer plus avant dans la théologie angélique. Mais il faut relire des choses pareilles qui peuvent paraître d’un tout autre âge mais qui gardent aujourd’hui encore une véritable pertinence !
Donc, je devins l’adjoint du biologiste, il faut dire les choses comme elles sont. Ce biologique il enseignait par exemple que c’est tout à fait normal que les hommes ne soient pas polygames. C’est normal, c’est biologiquement prouvé, puisque la femme est disponible tout le temps. 24 heures sur 24, 7 jours sur sept. Vous entendez bien là la rhétorique propre à la société de consommation qui est aujourd’hui la nôtre. Pourquoi faudrait-il aller chercher ailleurs ? Vous voyez le genre d’argumentations déployées. D’abord toutes les sociétés humaines ne sont pas monogames. Il y a des sociétés humaines qui déploient un espace pour la polygamie. Est-ce que ces gens sont moins humains que ceux qui sont monogames ? Mais surtout, tenir de tels propos, c’est ignorer précisément la manière dont le fait d’être parlant modifie radicalement la donne. J’ai donné encore cette moitié de cours trois ans, puis les autorités académiques m’ont renvoyé à mes chères études.
Cet épisode n’est pas étonnant, parce qu’il montre bien l’extrême difficulté dans laquelle nous sommes, collectivement parlant, de comprendre de quoi il s’agit dans cette subversion du corps, du biologique, de la vie, par le fait que nous sommes des vivants parlants. Voilà une définition : des vivants parlants. Comme il est très difficile de mesurer, de prendre acte de cette subversion de notre vie, par la question du langage. Anne a évoqué tout à l’heure la question de la castration. C’est exactement cela. Quand on parle de la castration, on ne parle que de cela. A savoir ce qui s’écrit dans le discours du maître : c’est le signifiant qui est l’opérateur de cette subversion, parce que le signifiant n’est pas un signe. Le signe c’est ce qui désigne quelque chose pour quelqu’un.
Quand vous êtes en voiture, vous vous arrêtez au feu de signalisation quand il est rouge. Si vous passez malgré tout, malgré ce « signe », et que vous avez la malchance qu’un agent de la force publique constate votre infraction, vous ne pouvez pas argumenter en disant : oui, mais attention, qu’est-ce que cela veut dire être rouge ? Vous ne pouvez pas, parce que le feu rouge ce n’est pas un signifiant qui renverrait à d’autres signifiants. C’est un signe.
Par contre quand vous venez écouter ces choses que l’on vous dit sous le titre « Les conditions du couple », vous pouvez légitimement vous interroger sur la signification de ces signifiants « les conditions du couple ». Nous voyons donc bien que le signifiant est fondamentalement polysémique. C’est-à-dire qu’il ne renvoie pas à des choses, mais à d’autres signifiants. Et par ce renvoi de S1 à S2, il représente le sujet. Un sujet ce n’est rien d’autre que ce qui est représenté par un signifiant pour un autre signifiant. Un signifiant ce n’est pas une nomination. C’est autre chose une nomination. Peut-être pourrait-on dire que la nomination est très proche de la « représentation » : si le sujet est représenté, il serait « nommé ». Et encore ce n’est pas sûr parce qu’un nom propre n’est pas polysémique. Enfin, « last but not least, il y a un petit a qui tombe. Et par cette chute, il introduit, dans la dynamique langagière, la dialectique du désir et de la jouissance. Voilà notre condition de « parlêtre » qui fait que l’objet petit a, il cesse d’être un objet finalisé. Quelque chose vers lequel nous courrons, que nous essayons d’attraper comme objet de jouissance, pour devenir simplement un objet cause d’un désir. Comme je le dis souvent aux analysants qui se plaignent beaucoup, nous nous plaignons beaucoup il faut le dire … Avant de venir vous voir j’écoutais les informations à la radio nationale belge, pas nationale, fédérale belge, la radio francophone : les motards étaient fâchés. Ils se plaignent parce que les routes sont en mauvais état et qu’il y a beaucoup de mort parmi les motards à cause des routes en mauvais état. Ils pourraient se demander s’ils ne pourraient pas rouler un peu plus prudemment sur ces routes en mauvais état. J’en reviens à l’analyse. Auprès de l’analyste, nous sommes souvent dans une position de plainte, parce que cela ne va pas. Souvent quand on leur demande, mais finalement de quoi vous plaignez-vous ? Ils ne savent pas quoi répondre, parce qu’ils ont tout. S’ils ont tout, comment pourraient-ils désirer quelque chose ? Cette question du désir, c’est ce qui surgit tout d’un coup du fait que du manque s’installe. Ce que je vous raconte là est finalement assez banal.
Peut-être ce qui est plus intéressant c’est ce petit a, ce qui « tombe », ce que nous « perdons ». Je mets cela entre guillemets parce que ce n’est peut-être pas de l’ordre de la perte, c’est peut-être de l’ordre de la constitution du sujet qui pose comme cela qu’un manque s’installe, qu’un manque s’écrive. Où il va ? Où il tombe ce petit a ? Dans le réel ! Il tombe dans le réel !
Le sexe c’est comme ça ! Ça tombe ! Et ça tombe dans le réel ! Et comme vous savez la définition du réel, c’est évidemment ce qu’on ne peut pas dire, c’est un impossible le réel, un impossible à dire, à imaginer. Lacan dira, mais là-dessus il changera de position dans les derniers séminaires, c’est ce qui est impossible à écrire, ce qui ne parvient pas à s’écrire ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire.
Nous avons eu il y a quelques semaines à Paris des journées d’étude qui étaient consacrées au réel de la science et de la psychanalyse. Une des questions était : est-ce que c’est le même réel dans la psychanalyse et dans la science ? A ce propos, Charles Melman nous faisait remarquer que le réel de la psychanalyse n’est pas le même réel que le réel de la science pour qui c’est le vide. Pourquoi c’est le vide ? Il n’a pas beaucoup argumenté autour de cela. Je vous proposerais l’explication suivante, pour essayer de comprendre pourquoi le réel de la science c’est le vide. Parce que la science se réfère à une méthodologie qui fabrique des îles, et des îles à l’intérieur desquelles la maîtrise rationnelle est totale. Pour que cela puisse marcher, il faut faire des îles, parce qu’il faut délimiter convenablement les objets. On tente de faire que ces îles ne comportent aucun élément impossible qui échapperait à la loi insulaire. Tout ce qui est impossible, tout ce qui ne marche pas, tout ce qui résisterait à notre tentative de maîtrise rationnelle, tout cela est mis à l’extérieur. Comme disent les scientifiques, on peut négliger cela. Quand vous faites de la physique la plus classique, que vous étudiez la chute des corps par exemple, que le corps soit bleu, vert, jaune, rouge, cela n’a pas d’importance. On néglige cette dimension de la couleur. Les corps tombent quel que soit leur couleur. Il y a cette espèce de fabrication d’isolat dans lesquelles la maîtrise est complète. Cela ne veut pas dire que les scientifiques pensent qu’ils maîtrisent tout, mais ils construisent des territoires isolés dans lesquels cette maîtrise est, en principe, parfaite, et le reste, ce qui « tombe-hors », on ne s’en préoccupe pas. On ne doit s’en préoccuper que pour construire un autre objet, une autre île, un autre territoire isolé dans lequel ces choses-là pourraient être traitées scientifiquement. Le réel pour la science, c’est ce vide qui est hors des îles du savoir.
Charles Melman avançait ensuite que pour la psychanalyse, au contraire, le réel n’est pas vide. Il est peuplé. Cela fait référence à une fameuse petite phrase chez Lacan dans le séminaire XI Les concepts fondamentaux de la psychanalyse, où il dit : le réel est peuplé de dieux. Et repensant à cette phrase et à ce que je voulais vous dire ici rapidement, j’ai pensé évidemment au Dieu Eros. Faire de l’amour un Dieu, c’est bien le mettre dans le réel !
C’est curieux parce que j’ai l’impression que le titre que j’avais suggéré « les conditions du couple », cela devient juste l’inverse. Au fond, les conditions du couple elles sont multiples, elles sont singulières pour chacun d’entre nous. Nous rencontrons quelqu’un, cela marche, enfin cela se met, disons les choses comme cela. Et puis au fond, ce que j’essaye de vous dire, ce qui me parait fondamental, pour qu’un couple de « parlêtres » se constitue véritablement, pas un couple de deux individus, mais un couple de sujets, pour qu’il puisse tenir c’est de la dimension de l’acte. Je me permets de vous rappeler la scène 1 de l’acte 1 de l’Avare, de Molière. Vous vous rappelez ? Cela commence par une discussion entre deux amants, on les appelait comme ça à l’époque. Aujourd’hui on dirait deux jeunes qui sortent ensemble. Ce qui n’est pas mal d’ailleurs, parce que le signifiant sortir, c’est très « é-ducatif » ! Vous entendez, éduquer cela veut dire faire sortir, conduire hors. Donc, le jeune homme il est tout feu tout flamme. Il déclare son amour à la jeune fille. La jeune fille, elle, prend dans la discussion, une position beaucoup plus… Elle pousse sur le frein ! Elle lui dit : « Oui, enfin, tu dis ça, mais quelles sont les preuves de ça ? » Car il faut des preuves. On ne peut parler ainsi « en l’air ». Parce que cela je ne vous l’ais pas encore dit, mais c’est extraordinaire ça. Le fait que nous parlions, cela fait que nous pouvons mentir. Le mensonge c’est une caractéristique de l’humain. Un mensonge c’est tout à fait autre chose qu’une ruse. Les animaux peuvent ruser, mais le mensonge ce n’est pas cela. Le mensonge il culmine dans cette histoire que Freud raconte de ces deux juifs polonais. L’un demande à l’autre : où vas-tu ? Il répond : je vais à Cracovie ! Le premier le regarde, réfléchit un peu et lui dit : pourquoi me mens-tu ? L’autre lui dit : mais je ne te mens pas. Je vais vraiment à Cracovie. Oui, lui répond le premier, mais tu me dis que tu vas à Cracovie pour que je pense que tu vas ailleurs, alors que tu vas à Cracovie. Vous voyez jusqu’où va la question de ce qu’est le rapport entre le mensonge et la vérité. Je reviens à Molière. La jeune femme ne cesse de lui dire, quelles sont les preuves de tes affirmations ? Parce que tu parles, tu parles, tu parles. Alors lui il essaye d’expliquer, de donner des preuves, et cela dure tout une scène. Cela se conclut par le fait que la jeune femme réponde, arrête l’affaire, le couple dans cette folle tentative de vouloir présenter des preuves. Elle lui dit : je te crois ! Alors cela je trouve que c’est absolument extraordinaire. Cela veut dire que la foi, ce n’est pas une croyance au sens imaginaire du terme. C’est quelque chose qui est de l’ordre d’un pari qui, face à quelque chose qui est de l’ordre d’un réel, de quelque chose qui ne peut s’écrire dans une preuve décisive, décide de le prendre en compte par un acte. Décide de prendre en compte cette affaire-là qui surgit de la parole de l’autre et par là, donne consistance à cette parole.
C’est fondamental cette affaire-là. Que l’amour c’est de l’ordre de l’acte, que l’acte cela à voir avec la question d’un réel, de faire avec un réel, et que ce réel suppose quelque part une économie subjective qui intègre la dimension de la foi. En termes de borroméen, on pourrait peut-être dire que vient ici se nouer un réel à une parole (symbolique) et à une consistance (imaginaire). Je vais arrêter là, parce que j’aimerais bien que vous posiez des questions. C’est véritablement une tâche impossible de venir vous parler du couple en couple. Ce que j’essaye d’avancer ici c’est quelque chose qui est bien sûr lié à la manière dont Anne et moi avons pu vivre cette expérience depuis un certain nombre d’années et évidemment ce que les analysants viennent nous raconter.
Une dernière chose quand même, pourquoi est-ce qu’on ne se marie plus aujourd’hui ? La plupart des couples ne se marient plus ou sont réticents. Vous êtes d’accord avec cela ? Ce qui revient à poser la question de savoir pourquoi se marie-t-on aujourd’hui ? Souvent parce qu’on a vécu relativement longtemps ensemble et qu’on a fait des enfants. Et on se marie pour faire une famille. C’est pas un couple cela, une famille. Ce n’est pas un couple, une famille, au sens où j’essaye de vous l’articuler du réel qu’est la relation sexuelle.
Le mariage c’est quelque chose d’un rite, et puisque Anne vous dit que l’on travaille à Bruxelles autour de la question des rites parce que l’on prépare des journées sur cette question, c’est un rite qui a une valeur symboligène. Cela fait pacte ! C’est ce que je vous racontais au début à propos de l’amour, quand on a que l’amour (réduit à sa dimension imaginaire), on est mal barré. C’est la dimension de l’investissement imaginaire qui prend le pas sur cette dimension symbolique, sans s’y nouer.
Le mariage pour tous, on peut en discuter, mais c’est plus compliqué.
Question de Jérôme La Selve : Cela fait pacte ou cela fait acte ?

 

DISCUSSION : 

 

Annie Gebelin Delannoy : j’avais noté pleins de choses au passage, mais c’est difficile de reprendre mais je me disais juste à propos de ce que vous venez de dire, Pierre : est-ce que faire avec le manque est-ce que ça amène à la… cette question de faire couple comme s’il y avait là une réponse imaginaire à vouloir combler ce manque, dans cette unité, ce qui a été déployé dans l’argument. Ce qu’on y rencontre c’est de manière structurelle, le manque et du coup j’ai été sensible à la croyance ; de ce y croire et ce que tu soulignais Anne je ne l’avais jamais entendu comme ça mais je trouve qu’effectivement dans le fait de cet acte de foi envers l’Autre du couple ça contient, il me semble le repérage du manque inéluctable, et que du coup ça vient poser cette différence des places dans le couple, de fait, et que, ce n’est qu’au prix de ce « j’y crois » « je te crois » qu’il y a quelque chose qui peut effectivement se mettre à tenir dans un couple mais qu’en même temps c’est sûrement à toujours renouveler comme acte de foi. Et la question qui me venait par rapport à ça c’est quand même qu’aujourd’hui effectivement on entend - alors vous disiez les gens se marient plus - je ne sais pas s’ils ne se marient plus, mais en tout cas on pourrait dire que le mariage ne va plus d’évidence, ça ne va plus de soi, ça peut être discuté, et qu’en tout cas les couples se séparent beaucoup peut-être…. Voilà la question que ça me posait c’était qu’effectivement dans ce … Qu’est-ce qui fait que, Anne tu l’as un peu abordé, mais pour le reprendre un peu autrement, qu’est-ce qui fait que pris dans le discours social dans lequel on est, donc dans le discours capitaliste, y a quelque chose d’une difficulté comme ça, à aller du côté de cette croyance et à faire que ça tienne ? qu’est-ce qui ferait que ça n’est plus tout à fait aussi possible ? Ça me vient cette question parce que ce que l’on entend, ce qui viendrait suppléer au mariage dans une inversion, c’est souvent l’idée d’avoir des enfants, c’est souvent l’idée d’acheter un appartement PM : A relire cette affaire des enfants, de l’appartement, il me semble que cela consonne parfaitement avec le discours capitaliste dans lequel nous sommes plongés. Il y a là une sorte de « positivation » qui fait preuve et qui permet de faire l’économie de la « négativité » toujours présente dans la mise en place du symbolique. . Ce qui ferait acte ce serait acheter un appartement, on entend cette idée d’aller chercher un objet de jouissance commun de mettre chacun sa part à part égale si possible, dans l’achat d’appartement. Voilà je me disais, je trouve que quand on entend les gens dire ça, il semble qu’il y a quelque chose de compliqué là-dedans et en même il me semble que c’est aussi une tentative de faire acte mais dans un contexte un peu différent ? Comment on pourrait rendre compte de ça ? Qu’est-ce qu’il y a de différent ?
Voilà c’est une première remarque, et puis une autre pour faire le lien entre ce qui s’est dit là, c’est quand vous dite le sexe ça tombe dans le réel et qu’on peut rien dire du réel, il me semble que c’est là que les paroles d’amour peuvent venir, Lacan il me semble dit que l’amour c’est ce qui supplée au non rapport, elles peuvent venir effectivement dans le semblant c’est-à-dire dans hein, dans ce « j’y crois » mais dans le fond je sais bien que ce n’est pas tout à fait ça, mais quand même venir border ce réel… Enfin voilà. C’était deux remarques . PM : On entend bien que l’amour tel qu’il est défini ici présente une dimension symbolique et suppose que l’on s’engage dans un acte de « foi », seule manière de « suppléer » symboliquement au non-rapport sexuel, c’est-à-dire de venir border le trou. Tout à fait différent de ce qui ne serait qu’un bouchon imaginaire.
Pierre Marchal : Lacan, est-ce que vous vous rappelez ? C’est une question et je vous renvoie une question … D’ailleurs à tout le monde ! Il fait la distinction entre « croire » et « y croire », vous vous rappelez ? Est-ce que vous pouvez m’éclairer là-dessus je n’ai jamais pu bien saisir la distinction qu’il faisait là...


Annie Gebelin Delannoy : Je crois qu’il fait la distinction entre la croire ou le croire et y croire.
Pierre Marchal : Mais au fond est-ce que ?
Françoise Chéca : Il me semble qu’il disait que c’est psychotique.
Pierre Marchal : Qui y croit … oui
Annie Gebelin Delannoy : Non, il croit la voix, il la croit
Cyrille Noirejean: Il dit aussi quelque chose : croire son symptôme et y croire il faudrait vérifier, mais j’ai dans l’idée que le « y » permet de décaler et ne pas être pris dans le sens…
Anne Joos : Moi je dirai aussi comme ça …ce savoir y faire
Jean-Luc de Saint-Just : J’ai beaucoup aimé Pierre la façon dont tu amenais les choses je trouvais que c’était une façon intéressante et j’ai envie de te dire que j’ai envie d’y croire ! … Mais cet acte de foi justement, ça m’amène à cette question-là est-ce que c’est , il faut que je reprenne un petit peu en amont par ce que tu évoques un acte de foi alors est-ce que ça renvoie pas à la nécessité là pour nous de prendre appui sur la façon dont Lacan définit l’acte : parce que y plein de gens qui font l’amour et ça fait pas pour autant acte PM : Au sens borroméen du terme.donc c’est pas comme le dit Lacan du registre du faire, si c’est du registre de l’acte c’est que c’est plus pareil après qu’avant, qu’il y a un franchissement, et on peut pas revenir en arrière, donc voilà il faudrait faire cette distinction-là. Parce qu’on pourrait dire que dans un couple il suffit de faire l’amour, mais non ça demande à ce que ça fasse acte. Et puis cette dimension de faire acte de foi, enfin moi, dans la façon que tu l’as présenté j’ai trouvé intéressant, on évoquait en tout début qu’il y aurait différents amours voilà et puis, comment on pourrait éventuellement les repérer, mais on voit bien que quelque chose qui relèverait d’un acte de foi ce serait quelque chose qui n’a rien à voir avec l’amour narcissique. Hein d’accord ?
Pierre Marchal : On est d’accord !
Jean-Luc de Saint Just : c’est un autre registre. C’est intéressant parce que là on aurait un élément qui viendrait distinguer quelque chose. Et puis, ce qui est amené de cette distinction qui est amenée entre croire et y croire parce que dans cette scène 1 là de Molière qu’est-ce qu’elle lui dit : elle lui dit : j’y crois !
Pierre Marchal : Je crois que c’est « je te crois »…. Mais bon on peut solliciter un peu le texte…
Jean-Luc de Saint Just : Non mais c’est important qu’il y ait cette distinction et dans ces cas-là ce n’est pas la même chose qu’il y ait « je te crois » ou « j’y crois ». C’est-à-dire est-ce que l’acte de foi il est porté auprès de la personne avec la dimension imaginaire ou bien est-ce que « j’y crois à la fonction de la parole et c’est là-dessus que je m’appui pour faire couple avec toi. C’est pas du tout la même chose hein ? C’est-à-dire que finalement, la preuve de l’amour que je lui demande je vois bien que de toute façon quoi qu’il fasse le pauvre vieux je vois bien qu’il peut pas la donner puisse que c’est de l’ordre d’un réel.. ;
Pierre Marchal : C’est ça qui est intéressant
Jean-Luc de Saint Just : C’est un réel ; c’est impossible donc il n’y a pas d’autre moyen que d’y croire …
Pierre Marchal : A la parole… A la parole de l’Autre
Jean-Luc De Saint Just : et avec cette dimension, mais entendons-nous bien « y croire » ça veut pas dire à ce moment-là « le croire » c’est-à-dire c’est pas … je trouve très intéressant la chanson qu’a amenée Anne : elle demande qu’on lui raconte des mots d’amour, elle y croit pas, elle est pas dupe du fait que c’est pas une preuve, mais pour autant elle ne le croit pas celui qui va conter, mais elle y croit dans la mesure où elle vient solliciter quelque chose-là qui est fondamental. Ces distinctions dans la façon dont tu les amènes… Ça vient permettre de faire ces distinctions
Elisabeth La Selve : Et en même temps, c’est pas désincarné c’est bien parce que il y a quelqu’un qui va énoncer ça qui va être vecteur de cette parole qu’elle va croire qu’elle peut dire : je te crois !
Jean-Luc de Saint Just : D’où l’importance de ce que Pierre rapportait tout à l’heure, il n’y a pas une dimension d’un côté, une dimension de l’autre, voilà c’est noué mais que c’est pas noué de la même façon en fonction de la manière dont c’est articulé. Je le rappelle comme ça pour ceux qui on pas forcément l’habitude avec ces catégories-là : le réel, l’imaginaire et le symbolique c’est les 3 dimensions que Lacan à distinguées dans le fait que l’on parle c’est-à-dire que dès qu’on parle y a une dimension Symbolique, y a une dimension réelle et y a une dimension imaginaire, et que ces trois dimensions il a quand même cogité pendant longtemps avant d’arriver à proposer quelque chose qui permettrait de voir comment c’était noué dans la façon de parler. Donc que la jeune femme elle dise « je te crois ou « j’y crois » c’est pas pareil, ça vient pas nouer les choses de la même façon.
Elisabeth La Selve : Elle peut dire je te crois et que dans ce je te crois il peut y être aussi le « y croire »
Pierre Marchal : Mais ça, c’est le nouage. Mais ce qui importe peut-être aussi je pense que là ce serait des trucs que… ça se serait des trucs qu’il faudrait travailler cliniquement, je pense que si on ne se soutient que de ce « je te crois » ça va pas tenir : il faut qu’il y est quelque chose de l’ordre de ce y croire. Quelqu’un a parlé du symptôme ? C’est vous je crois … je trouve ça c’est vrai qu’il faut prendre aussi les questions du côté du symptôme parce qu’au fond qu’est-ce qu’on fait avec le réel là ? Moi j’ai toujours en tête l’exemple de Cézanne et qui a peint des centaines de fois la montagne Saint Victoire. Qu’est-ce qui y a là ? Moi je pense qu’il y a dans cette reprise incessante quelque chose qui vient dire que nécessairement y a du ratage. Mais en même temps c’est cette reprise qui fait qu’il y a œuvre. Et moi je pense que nos symptôme, le symptome ou le sinthome c’est quelque chose qui au mieux est de cet ordre-là et le couple pourquoi est-ce qu’on peut pas… ; on peut bien penser qu’au fond c’est une œuvre d’art … C’est un peu fleur bleue ! [rires] Mais dans le sens où ...
Anne Joos : Oui un art de vivre
Pierre Marchal : Dans le sens où… Comment on disait là ? REDIS moi des choses tendres REDIS moi et que cette affaire est toujours à REDIRE et que c’est dans cette redite que quelque chose prend corps … Prends corps Comme une œuvre ? C’est extraordinaire de voir ça … Y a eu une expo à Avignon y a quelques années ? y avait toutes ? pas toutes ? Mais une bonnes vingtaine de toiles comme ça de la montagne saint victoire et on voyait ça comme ça l’un derrière l’autre et c’est magnifique ! Extraordinaire … ça fait œuvre cette redite … REDIS moi … et ça il faut quand même l’avoué c’est grâce aux femmes ! Ce sont elles qui demandent qu’on redise….
Anne Joos : Oui c’est nécessaire
Pierre Marchal : Et les hommes : Mais tu sais bien quand même ! …. Mais c’est pas le problème de savoir ! C’est le problème de redire ! C’est … Et qui est lié au fait qu’il n’y a pas de parole définitive, il n’y a pas de parole une fois pour toute, il n’y a pas de dernier mot qui nous plongerait dans le silence.
Anne Joos : Ce n’est pas le dit qui compte. C’est le dire ! C’est pour cela qu’il fait re-dire.
Pierre Marchal : Absolument, tout à fait !
Jérôme La Selve : C’est du côté de la vérité, puisque la vérité ne peut passer que par un dire, pas toute, mais quand même un petit peu.
Pierre Marchal : Parce que si elle était toute dite, il ne faudrait pas redire.
Anne Joos : On dirait, tout est dit !
Jérôme La Selve : L’acte de foi, cela me fait penser aussi quand même à ce que fait l’enfant par rapport à son père. Il passe déjà par un acte de foi pour installer l’amour filial. Est-ce que cela ne se rejoue pas ? Est-ce que ce n’est pas un deuxième tour avec une femme ou avec un homme ?
Anne Joos : C’est là que c’est important de préciser, parce qu’on a beaucoup parlé du discours du capitaliste, mais on a pas évoqué le discours de l’hystérique. L’hystérique elle affirme qu’il y a de la relation et que c’est une relation d’amour. Et donc, de quel amour est-ce qu’on parle ? Puisque toi tu viens dire : il n’y a pas de rapport sexuel. Alors, il n’y a pas de relation ?
Jérôme La Selve : C’est pour cela qu’il est important de parler du « parlêtre ». Cela ne marche
Jean-Luc de Saint-Just : j’étais sensible Anne à ce que tu évoquais tout à l’heure de la déconnexion de la sexualité de la procréation, et de ta remarque : on ne va pas maintenant la déconnecter de l’amour. Cela me semble très important. En revenant à ce que disait Pierre du nouage, à la façon dont les choses étaient nouées, cela nous renverrait à quelque chose qui se présenterait comme si c’était dénoué. Le dieu Eros dans le Banquet de Platon, nous l’avons repris dans ce séminaire et nous avons créé dans le Sud-Est des « Banquets », c’est étonnant ce que dit Socrate quand il donne la définition de l’amour, parce qu’en fait il donne la définition du désir. C’est surprenant ! Les deux pour les Grecs de l’antiquité semblent être complètement associés, presque confondus. Le désir et l’amour pourtant ce n’est pas la même chose, mais peut-être que la question qu’il y a à se poser c’est comment ils se nouent (nous).
Elisabeth La Selve : Peut-être est-ce séparé parce que la question du réel n’est pas à la même place ? Il me semble que ce qui disait également Charles Melman à ces journées sur le réel de la science et celui de la psychanalyse, c’est qu’il disait qu’on ne peut dire réel que pour la psychanalyse. Et du coup pour la question de l’amour, l’amour peut être dans cette dimension réelle là. Du temps des grecs la place du réel n’était pas la même. Alors qu’aujourd’hui, le discours du capitalisme c’est trois registres dénoués quasiment en permanence et qui se courent après. Une façon d’articuler les quatre discours, le tableau d la sexuation et les dimensions du nœud borroméen. Dans RSI, Lacan amène déjà qu’il y a une autre façon d’aimer que la façon narcissique. On tourne la page, et puis cela n’y est pas, mais il le dit à propos de RSI et du nœud borroméen.
Annie Gebelin-Delannoy : Ce que l’on entend beaucoup dans les rencontres sur les sites, cette course à la rencontre. Il me semble que ce qui est toujours mis en avant, c’est dans cette espèce de catalogue qui est proposé de l’autre avec qui cela collerait, avec qui on partagerait, le correspondant, le partenaire parfait, d’aller chercher une garantie que cela va marcher, avant même d’avoir pris le risque d’aller rencontrer l’autre. Il me semble que cela témoigne de cette impossibilité aujourd’hui, pris peut-être dans ce discours, de l’avoir cet acte de foi, de le faire. Peut-être y a-t-il quelque chose de la dimension de la parole qui n’est plus là et qui ne permettrait plus cet acte de foi ?
Une participante : L’acte de foi en question, qu’il soit du côté de l’enfant pour le père ou là, c’est vis-à-vis de la parole que cela se situe, que cela se répète, ou plutôt que cela se redise.
Pierre Marchal : Ce que vous dites c’est une autre question qu’on a pas débattue. Cela veut dire qu’il n’y a de couple qu’hétérosexuel. Il n’y a pas de couple homosexuel. Cela ne veut pas dire évidement que deux personnes du même sexe ne peuvent pas faire couple, mais pour que cela fasse couple avec deux personnes du même sexe ; il faut qu’il y ait quelque chose d’une altérité qui vienne s’y inscrire. Un couple que l’on dira sociologiquement qu’il est homosexuel, en fait est hétérosexuel. Parce que l’hétérosexualité, elle vient de la femme. Rappelez-vous du petite Hans quand il traite de la sexualité infantile, qu’est-ce qu’il dit quand il voit le sexe de sa sœur : « Oh, cela va grandir ». Il y a quelque chose d’une homosexualité là. La femme, cela vient dire qu’elle n’est pas comme les hommes. Les schémas de la sexuation, référez-vous y si vous avez l’habitude de cela, cela vient articuler qu’il y a de l’Un et de l’Autre, et c’est la femme qui supporte cette dimension Autre. En tout cas dans les schémas de Lacan, mais on peut bien sûr interroger cela. Moi je n’ai pas de clinique de ces choses-là, mais Anne qui travaille dans un centre de Procréation Médicalement Assistée qui reçoit des couples homosexuels. J’entends ce qu’elle peut m’en raconter. On entend bien que la question importante est de savoir si dans un couple dit homosexuel, il y a quelque chose d’une altérité qui se joue. C’est cela qui importe.
Jérôme La Selve : les deux parties du tableau c’est l’a-mur.
Anne Joos : A contrario quand tu dis un couple est toujours hétérosexuel. Je trouve qu’il faudrait faire attention quand on dit cela parce que tu exclus ce que l’on rencontre dans la clinique, le couple passionnel. Cela existe ! Cela se déchire. Ce n’est pas viable très longtemps. Cela existe dans le rêve, dans ce désir de vouloir faire une avec l’autre. On en revient à l’argument ! Cela existe quand même dans le dire des gens. Je suis toujours surprise même avec les gens avec qui je travaille quand ils disent : le rêve c’est la fusion. On est un bon couple, on est un couple fusionnel.
Pierre Marchal : C’est une pulsion de mort, ce n’est pas un couple, c’est faire Un. Le couple, pourrait-on dire, c’est du deux-pas-sans trois.
Jérôme La Selve : C’est les catho cela, quand on se marie à l’église, on dit tu feras un avec ta femme.
Jean-Luc de Saint-Just : Je ne suis pas d’accord avec cela. C’est un acte de foi au contraire.
Cyrille Noirjean : On parle de l’amour depuis le début de la soirée et que n’est venu à aucun moment le séminaire sur lequel on travaille et sur lequel nous allons travailler demain « L’insu que sait de l’une bévue s’aile à mourre » avec cette référence du jeu de la mourre. Un jeu ancien qui vient décrire, y compris au niveau du rite, cette tentative je crois de faire un nœud borroméen à trois. C’est-à-dire de venir cerner ce qu’il en est du réel, pas de la consistance du réel, mais du réel du nœud. Ce qui fait l’impossible radical de structure. Et ce jeu il se joue comment ? C’est qu’à deux chacun avec une main dans le dos on va faire un chiffre avec les doigts de la main, et c’est le premier qui dit la somme des deux qui a gagner. C’est ce truc qui se noue sur un impossible, un trou dans le savoir.
Jean-Luc de Saint-Just : Cela tombe bien puisque c’est ce que j’amenais comme question dans l’introduction de cette soirée : est-ce possible de faire couple autour de la reconnaissance d’un savoir ? PM : S’il me fallait répondre à cette question, je répondrai par la négative, puisque j’ai tenté d’avancer que ce qui faisait couple, c’est de l’ordre de l’acte en tant qu’il permet un pacte, comme Jérôme La Selve l’a très justement suggéré. Encore faudrait-il s’entendre sur ce qu’est le « savoir » : savoir scientifique de maîtrise ou savoir en place de vérité comme il s’inscrit dans le discours de l’analyste.

 

1-En fait c’est une chanson Belge de Jacques Brel écrite en 1956.

2-A ce propos, lisez un roman tout récent d’Eric Chevillard : Juste ciel, Minuit, 2015.

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