Jean-Luc de SAINT JUST : Impromptus... de Jean-Luc de Saint-Just -séminaire d'été ALI? 2016

Je remercie moi aussi Marc Darmon de sa trouvaille. Ce serait pas mal en effet qu’il y ait de l’impromptu. Le problème ou la difficulté c’est que par nature ou définition ce n’est pas forcément là où on l’attend qu’il émerge. C’est souvent où on ne l’attend pas qu’il nous surprend, et encore, pour autant que l’on soit en mesure de le reconnaître. Parce qu’il n’est pas rare que l’idée qu’on s’en fait, ce qu’on pense à priori en relever, nous rende sourd et aveugle. Comme le rappelle Lacan dans le séminaire I à propos de la cure de Dora : c’est même ce qui est arrivé à Freud. Pour reprendre un propos de Marc Darmon, c’est justement à cela que sert la topologie, à nous rendre moins sourd, à nous permettre de nous déprendre de notre « panse sait ».

La question (et les difficultés qui vont avec) que je voudrais aborder aujourd’hui concerne également un impromptu de Lacan : « le retour du tore » (avec toute son équivoque). Celui de l’année précédente, de la dimension torique des consistances du nœud borroméen, de la nécessité d’une seconde tranche qui articule la structure et la forme, d’une opération de retournement qui recouvre et donne forme à la fin d’une cure, mais surtout les opérations sur le tissu torique qu’il va mettre au travail dans ce séminaire « le moment de conclure » avec l’aide de Pierre Soury.

Ce qui a attiré mon attention dans ces opérations c’est qu’ils renvoient manifestement à tout à fait autre chose, comme cela a déjà été indiqué, qu’à seulement la fin de cure. A lire et à relire ce séminaire, en particulier les leçons V et VIII, force est de constater que Lacan consacre une partie non négligeable de ce séminaire à ces questions de retournement d’un tore ou de deux tores emboités ou enlacés, comme au trouage et aux coupures de la surface du tore. Alors, s’il redit à nouveaux dans ce séminaire que le tore c’est ce qui a le plus étroit rapport avec le corps ; est-ce qu’au-delà de ce support et de cet abord de la structure, que le travail sur la topologie permet, ces questions ne renverraient pas également à quelques moments ou processus de la cure ? Comment lire dans cette perspective cet intérêt et cette recherche de Lacan dans ce séminaire pour ces opérations sur le tore, ces opérations dans la pratique analytique ?

Si l’on donne crédit à la pertinence du renouvellement de lecture qui nous est proposée de réaliser cette année et qui consiste en quelques sortes à passer de l’explication des « écrits techniques » à une pratique de « l’écriture de la pratique », la question que pose Lacan dans la leçon V, que j’ai peut-être eu le tord de prendre au sérieux, « J’entre où ? » en constituerait- elle l’une des articulations possibles ? « J’en trou », sous entendu dans l’analyse, mais cette énonciation fait aussi entendre que c’est également l’en trou du désir dont il est question.

Cela fait particulièrement écho à ce premier temps de l’analyse que Lacan décrit dans les leçons XV et XVI du séminaire I, de devoir en passer dans une analyse par la nécessaire conjonction de la parole du sujet et de son désir. Je le cite : « Ce qu’on peut considérer comme une première étape, une première phase de l’analyse, le passage de quelque chose qui est en O - c’est-à-dire du Moi au Sujet, en tant que constitué, mais inconnu au sujet, là, dedans de lui, en deçà de ce qu’il peut reconnaître – le progressif passage de cette image en O’ – c’est-à-dire là où le sujet peut reconnaître ses successifs investissements imaginaires ». (Leçon XV : cf. le commentaire fait par Danielle Eleb le 29 mars 2016 disponible sur le site de l’ALI)

Il est aisé à entendre cet extrait d’imaginer que cette première phase de l’analyse - où Lacan se référant au stade du miroir évoque la nécessité de compléter l’image du moi, c’est-à-dire de permettre au sujet d’avoir accès à ce que justement pour se constituer cette image à du éluder en dedans, en deçà - pourrait correspondre à un retournement du tore tel qu’il est mis au travail dans le séminaire « le moment de conclure » : à la mise au dehors, à l’extérieur, de ce dedans, de cet en deçà de ce qu’il peut reconnaître. Cela a directement affaire à la dissymétrie du tore, puisque dans un tore il y a deux dehors, un dehors dehors et un dehors dedans.

Une possible relecture de ce moment dans l’analyse pourrait se formuler ainsi : Pouvons-nous considérer que ce premier temps de l’analyse décrite par Lacan dans le séminaire I qui est, disons le de suite, décisif pour la suite de la cure, s’opérerait bien par des opérations sur le tore permettant un retournement tel qu’il est mis en perspective dans le séminaire « le moment de conclure » ? Si c’est le cas : lesquelles et pour quel retournement ? Plus encore, pourrions-nous dire que cette relecture serait susceptible d’éclairer autrement, voire de nous permettre d’élaborer bien des destins de cures puisqu’en fonction du type d’opérations qui ont pu ou non se faire, cela n’aura pas les mêmes conséquences, cela ne permettra pas la même analyse, voire cela permettra ou pas qu’il y ait analyse, quelque soit le temps, la durée passée.

J’ai la faiblesse de penser que ce n’est pas sans importance parce que ce ne serait pas seulement une autre façon de dire la même chose, mais bien un renouvellement, dans la mesure ou comme le rappelle Lacan « toute application dépend de la dimension dans laquelle vous l’appréhendez, vous vous déplacez ».

Si nous nous référons à plusieurs moments de l’enseignements de Lacan, ce n’est pas pas la même chose de vous situer et d’élaborer votre pratique, de vous déplacer, si vous lisez ou si vous visez une « complétion de l’image » comme Lacan le situe donc dans le séminaire I, des opérations combinatoires des dimensions RSI jusqu’à la Symbolisation de l’Imaginaire du Réel, les tours de la demande qui dégagent d’un tore le trou du désir comme il le situera ensuite en 1962 dans son séminaire sur l’Identification, ou encore le passage d’une bande biface à une bande de Moebius comme Charles Melman le proposera dans son séminaire en octobre 1986, ou enfin si cela se tient, aux opérations de trouage, de coupure et de retournement d’un tore. Il peut s’agir éventuellement à chaque fois de la même fonction qui pourrait correspondre à cette fonction dite « mutatiste », nommée ainsi par James Strachey, reprise et citée par Lacan, mais qui ne se pratiquerait pas alors selon les mêmes coordonnées, qui n’impliquerait donc pas la même pratique.

Si le retournement du tore correspond à ce « moment fécond et décisif » où Lacan pose la question d’un pas de plus qui serait exigible, qui serait à réaliser, dans l’intégration symbolique par le sujet de son histoire, nous pourrions dire que ces différentes dimensions concernent à chaque fois la nécessité d’un déplacement permettant au sujet d’accéder, d’appréhender, de voir ce qu’il ne pouvait voir autrement, avant ces opérations (le dedans, l’en deçà). C’est ce que peuvent permettre ces opérations sur le tore, que puisse s’appréhender le dedans, la structure de ce tissu en tant qu’il est Autre, le tissu symbolique et plus encore sa structure borroméenne en tant qu’elle ne peut être reconnue par le sujet, avant.

Ces opérations décisives dans la cure, fécondes de l’interprétation « mutative » nous renvoient utilement à la formule latine « mutatis mutandis » qui désigne « ce qui devait être changé ayant été changé ». Est-ce que cela ne nous indique pas quelque chose de tout à fait important dans la conduite et les possibles d’une cure ? Puisque si ce retournement n’a pas lieu, il ne semble pas qu’il puisse, avant, paraître nécessaire. Cette formule latine indique que s’il devait avoir lieu, ce n’est qu’après qu’il ait eu lieu que cela s’avère quelque chose qui était nécessaire. C’est un point qui me semble très important. Parce qu’il y a là sans doute une absence d’opérations qui ne sont pas à priori nécessaires, mais qui font obstacle à la réalisation même d’une cure, et qui a comme conséquence : soit une interruption comme pour Dora, soit un prolongement sans fin, ou encore le leurre de son effectuation, puisque l’accès à une lecture de l’en trou du désir n’a pu s’ouvrir, s’opérer. C’est resté en deçà, comme non nécessaire.

Dans la première leçon de son séminaire de 1986, celle du 9 octobre qui a pour titre « Le désir est l’essence de la réalité », Charles Melman rappelle que désir et réalité sont sur le même bord sur une bande de Moebius. A la fois chacun d’un côté et en même temps en continuité, sans bord. Il fait remarquer que par contre : « tout se passe pour l’hystérique comme si le désir était de l’autre côté d’une bande biface, de l’autre côté d’une bande occupée sur son autre face par la réalité, désir et réalité étant pour elle séparés par un bord ».

Il poursuit en commentant, comme Lacan dans le séminaire I, l’impasse de l’analyse de Dora : « désir et réalité seraient ainsi séparés de part et d’autre d’une surface biface et le passage de l’un à l’autre nécessiterait le franchissement d’un bord ». Interrogé sur cette lecture topologique et l’impasse analytique que représente cette bande biface dans l’hystérie, Charles Melman conclu dans cette leçon qu’il y a nécessairement un premier temps dans l’analyse qui passe d’abord par une reconnaissance de cette structure. Je le cite à nouveau : « le temps nécessaire passe peut-être d’abord par une reconnaissance de ce fait que désir et réalité sont situés, peuvent voyager du même côté. Et tant que ce n’est pas fait, tant qu’ils restent séparés par un bord, peut-être n’y a t-il pas d’interprétation qui tienne... enfin, qui tienne... les interprétations ont peut-être à être différentes en ce temps là de celles de l’autre temps, s’il est possible. » S’il est possible, c’est que ce n’est pas gagné le passage de ce premier temps, de ce bord, et que sans cette opération les interprétations ne tiennent pas. Le mot me semble juste pour Dora, comme pour de nombreux autre cas : Cause toujours tu m’intéresses ? Ce que tu racontes c’est bien joli, mais cela ne me concerne pas !

Ces interprétations différentes seraient donc bien des interprétations «mutatives», des interprétations dans le transfert bien entendu, c’est-à-dire du transfert (Freud reconnaîtra que dans l’analyse de Dora c’est quelque chose qu’il a négligé). Il a été dit que le transfert c’est déjà un retournement du tore. Pourquoi pas, mais lequel, de quel retournement s’agit-il et comment cela opère ? Questions essentielles, puisque la clinique démontre que souvent le transfert ne suffit pas à lui seul à une reconnaissance par le sujet de la continuité entre sa parole et son désir. Ce serait différent dans la psychose qui serait, si j’ose dire, déjà à ciel ouvert. Ce sont des difficultés fréquentes repérables donc depuis la reprise par Lacan des remarques de Freud sur l’analyse de Dora. Pour qu’elle ait lieu cette interprétation et que nous puissions en rendre compte, se pose encore la question de ce qu’elle opèrerait de différent.

En se référant au Cross Cap, Charles Melman y répond. Il évoque la nécessité d’un second tour de la coupure afin que l’hystérique puisse reconnaître (non pas accepter ou consentir comme le faisait Dora, mais se reconnaître, s’y reconnaître), avoir accès à ce dedans, à cet en deçà de ce qu’elle pouvait reconnaitre, à cette écriture du ($<>a). Il faudrait donc une autre coupure pour que cette interprétation soit opératoire, qu’elle vienne entériner l’écart entre deux signifiants et la perte d’un objet. Nous y reviendrons, mais cela fait entendre que cette coupure constitue un troisième. Un troisième pour que puisse être vu par le sujet l’S1 qui le détermine : « Le lien alors entre la parole articulée par le sujet et le grand Autre, serait la faille, la coupure » ... « La coupure à la fois révélatrice de la vérité de notre rapport à l’Autre, que la jouissance vient masquer ».

Vous entendez peut-être comment cette leçon de Charles Melman est susceptible de faire charnière, de nous permettre d’articuler ce que Lacan amène dans le séminaire I, ce pas qu’exige ce premier temps de l’analyse. Il ne concerne pas uniquement l’hystérie, même si c’est sans doute une voie royale pour le saisir (vous le savez d’expérience, les hystériques ont ce talent de savoir retourner les torts). Lacan parle aussi de cette complétion symbolique pour l’homme aux loups dans la construction de la scène originelle. Cela fait donc charnière avec ce séminaire du moment de conclure où la question est de savoir ce que va produire telle ou telle opération, voire combinatoire dans ces opérations, dont la fonction que je propose de dire maintenant clairement « mutative » consiste à ce que le sujet puisse avoir accès, puisse lire la structure qui ne peut se lire avant, être reconnue par lui.

Il est temps maintenant de regarder d’un peu plus près cette question du retournement d’un tore. Cela dit, comme cela va être fait en détail dans la suite dans ce séminaire, je ne vais pas me lancer, en particulier dans les leçons V ou VIII, dans un commentaire des passages où Lacan et Pierre Soury développent ces questions. Je ne reprendrais que quelques apports qui me semblent remarquables de ces leçons pour ensuite en interroger assez succinctement des modalités cliniques. Pour autant, si tout cela a quelques pertinences, et même si c’est un chantier qui a déjà été ouvert par plusieurs de nos collègues, il serait particulièrement intéressant que les commentaires à venir puissent préciser, compléter, corriger ou même pourquoi pas contester cet essai d’articulation.

Pierre Soury fait des distinctions importantes entre le retournement, le trouage et les coupures. En particulier, il différentie assez nettement le trouage et les coupures. En tout premier lieu en faisant remarquer qu’il n’y a qu’une façon de faire un trou, que le trou est une coupure sur un cercle réductible (refermable sur lui-même), qu’il ne permet qu’un seul type de retournement du tore, et qu’il produit, en dehors de la partie enlevée, une bande à un seul bord. Alors que dans les coupures le trouage est implicite, qu’elles ne sont pas réductibles et « qu’il y a autant de façon de couper qu’il y a de cercles sur le tore ». Les plus simples sont les coupures suivant le cercle du méridien et les coupures suivant le cercle de la longitude. Les plus complexes sont celles qui ne suivent ni l’un, ni l’autre. Les coupures permettent plusieurs retournements possibles. Cela fait dire à Pierre Soury que la coupure c’est plus que le trouage.

Il fait aussi remarquer que la coupure produit une bande à deux bords. Les plus complexes avec des torsions et des nœuds, de trèfle par exemple. Les torsions dépendent des tours autour de l’âme du tore et peuvent se compter, alors que les nœuds dépendent des tours autour de l’axe.

Il distingue deux types de retournements du tore, l’un à partir d’un trou ou d’une coupure ou « l’on inverse simultanément les deux faces et l’intérieur / extérieur », l’autre uniquement par coupure permet « au contraire, de dissocier cette liaison », entre les deux faces de la surface torique et l’intérieur/extérieur.

C’est-à-dire que le tore coupé, s’il est possible de le refermer comme il était à l’origine, il est aussi possible de le refermer de quatre façons différentes ».

Je ne vais pas plus loin... que ces simples constats, ce sera repris et sans doute discuté dans la suite de ce séminaire.

Au-delà de ces premiers repères topologiques, ce qui m’a aussi semblé intéressant, c’est que dans la leçon V, toujours à la demande de Lacan, Pierre Soury montre que deux tores enlacés constituent une chaîne dégénérée. Autrement dit, qu’à l’instar du zéro pour les nombres une chaine à deux tores enlacés ne peut rien produire d’autre qu’elle-même, ou plutôt la reproduction du même. Vous vous souvenez que cette figure de deux tores enlacés, l’embrassement des deux tores, avait déjà été utilisée par Lacan dans le séminaire de 1962 sur l’Identification pour formaliser la névrose : l’impasse de la névrose étant de vouloir faire correspondre son désir à la demande de l’Autre.

En utilisant un signifiant plutôt bien trouvé, Pierre Soury démontre qu’il n’est possible de « désimpliquer » un tore d’un autre tore que par une coupure sur l’un des deux tores. « Si on fait le retournement d’un tore par trouage, on ne peut pas désimpliquer ces deux tores. On ne peut pas les désimpliquer, les désenchainer, les désenlacer. C’est seulement si on fait une coupure. Mais faire une coupure c’est faire beaucoup plus que le retournement, faire une coupure c’est faire plus que le trouage, et faire le trouage, c’est faire plus que le retournement. C’est-à-dire que faire une coupure, c’est faire beaucoup plus que le retournement. On peut faire le retournement par coupure, mais ce qui se fait par coupure n’est pas représentatif de ce qui se fait par retournement. » Il poursuit par ce qu’il a ensuite développé : « par coupure on peut désimpliquer, on peut désenchainer l’intérieur de l’extérieur, alors que par retournement, il n’est pas question de désimpliquer la complémentarité de l’intérieur et de l’extérieur. »

Par la suite, il y aura une discussion avec Lacan sur ce qui dans ces opérations produit des choses équivalentes ou pas, mais il est à noté que dans la discussion qui ponctue cette séance, il est manifeste que Lacan et SOury ne parlent pas de la même chose. Là où Soury envisage une « désimplication » à partir de la coupure d’un tore, et encore pas n’importe quelle coupure, Lacan propose la coupure et le retournement des deux tores. Enfin, là aussi je ne vais pas aller plus loin, pour en revenir à la perspective dans laquelle je me situe.

A quoi correspondent dans la clinique ces opérations ? A quel moment peut-on parler d’un retournement, d’un trouage, ou de coupures ? Plus encore, de la combinatoire de ces opérations dans le déroulement d’une cure ?

Que serait donc un retournement ? Serait-ce comme un gant retourné, l’envers de l’endroit ? Le dedans dehors ? Sans parler d’un retournement qui délirerait le rapport des faces avec l’intérieur et l’extérieur ? Le simple sens contraire, opposé, d’un tout l’un ou tout l’autre, d’un univoque à l’autre ?

Qu’est-ce qui est susceptible de faire trou ? Est-ce équivalent à un trou dans le savoir, à la dimension de l’énigme, ou de l’indicible, de l’équivoque, mais laquelle ? Et que dire de ce qu’opère une dénégation ?

Ces coupures évoquées par Lacan et Pierre Soury, relèvent-elles des coupures dans la chaine littérale ? Si c’est le cas, pourrions alors distinguer des coupures lexicales et des coupures syntaxiques, mais aussi des coupures qui combineraient ces deux axes, ou qui ne relèveraient ni de l’un, ni de l’autre ? N’est-ce pas là proprement le type de travail qu’exige une œuvre poétique ?

Je vais évoquer trois vignettes cliniques récentes et au risque de me tromper, d’en avoir un abord un peu naïf, je vais prendre le risque d’essayer d’en articuler quelque chose.

[...] Pour des raisons évidentes de discrétion, il n’est pas souhaitable que ces vignettes cliniques soient publiées.

Bien sur, c’est toujours délicat de donner comme cela des vignettes cliniques qui sont de toutes façon toujours partielles et plus ou moins maladroitement reconstruites. Ce qu’il faudrait pouvoir faire entendre, c’est comment cela a été dit, la voix, tout ce qui a le rapport le plus étroit avec le corps. Sans parler de ce à quoi cet analyste là, au cours de cette séance là, à été sensible ou pas : de ces « impromtus ». Et pour compléter ce qui a été dit ce matin, ce que l’analyste croit, ce à quoi il donne crédit. Ces moments participent de ce qui peut apparaitre étonnant, surprenant, dans le dire de l’analysant, comme de l’écoute de l’analyste, pas toujours au regard du sens, mais aussi de comment cela résonne, vibre, souffle, bave, crache. Quelque chose qui n’est bien entendu pas reproductible.

Dans l’ouvrage d’articles « Le métier de Zeus » de John Scheid et Jesper Svenbro, il est rappelé que dans l’antiquité, en particulier pour les grecs, un texte n’était pas réductible à un écrit. Un texte s’était quelque chose souvent d’appris par cœur, mais surtout de lu à voix haute. C’est la lecture et donc la voix qui en fait la matérialité, la réalisation. Comme je le fais aujourd’hui, sans le faire de mémoire. Je n’ai pas osé. C’est aussi ce que nous exigeons de nos analysants. C’est même la règle fondamentale de l’analyse. Cela a été et c’est peut-être encore le cas dans la poésie qui était un texte déclamé en public, un texte que parce qu’il est dit ! La vocalisation est une dimension essentielle à faire entendre sa richesse, ses effets, son invention. La poésie quand elle est dite fait entendre ce qui dans la cure consiste à dire à voix haute le texte qui me régit. Son efficace relève même le plus souvent des impromptus de cette lecture à voix haute, de ce texte, du tissu même qui me constitue dans le moment où je le dis. Autrement dit, des enlacements sur une chaine littérale discontinue d’une trame de « lalangue » continue qui ne fait texte qu’à être vocalisée, dans l’étoffe d’un corps qui parle. Tissu d’un tore qui rappelle que la psychanalyse est une pratique éminemment corporelle ! La prise en compte du tore, c’est la prise en compte du corps, sans laquelle il n’y a pas de possibilité de défaire par la parole ce qui a été fait par la parole : de Symboliser l’Imaginaire du Réel.

Autrement dit, « Si nous n’allons pas tout droit à cette distance entre l’imaginaire et le réel, nous sommes sans recours... La Chose est ce à quoi nous devons coller et la chose en tant qu’imaginée, le tissu en tant que représenté. La différence entre la représentation et l’objet est quelque chose de capital. C’est au point que l’objet dont il s’agit est quelque chose qui peut avoir plusieurs présentations ». C’est la conclusion de Lacan dans ce séminaire et c’est ce que j’ai tenté d’articuler. Je vous remercie de votre attention.

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