Pascale Moins : Introduction à la santé mentale -La santé mentale au risque de la psychopathologie-le 7 octobre 2025

Introduction à la santé mentale -La santé mentale au risque de la psychopathologie-
Le 7 octobre 2025 : Ali Lyon / Collège de psychiatrie : La santé mentale en question-Pascale Moins
Je remercie Jean-Luc de Saint-Just, Fréderic Scheffler et Ève Tognet de m’avoir proposé d’intervenir ce soir. Et je remercie Jean-Luc pour ce titre « la santé mentale au risque de la psychopathologie « qui n’est pas tout à fait celui que je m’étais donné et que je vous livre quand même « la santé mentale, miroir de l’époque » mais l’écart m’a permis de travailler une certaine perspective.


Introduction
Vous vous souvenez sans doute de cette annonce du premier ministre de l’époque, en septembre 2024, « faire de la santé mentale la grande cause nationale 2025 », la santé mentale, a-t-il rappelé étant « l’affaire de tous ». Ce premier ministre l’a annoncé lors de son interview au journal télévisé de France 2, l’a développé dans sa déclaration de politique générale, le 1er octobre 2024 devant l’hémicycle. Les journaux ont expliqué que la mère de Michel Barnier avait travaillé à l’Unafam, créé des foyers dont un portait son nom. « J’ai ça au fond de moi et c’est pour ça que j’ai choisi que la santé mentale soit la grande cause nationale » a ajouté le ministre. Cause familiale, combat intime.
Nous sommes un certain nombre à avoir écouté cela avec surprise. Au fond, la psychiatrie se portant fort mal tant dans les institutions de soins que dans son absence d’attractivité chez les jeunes internes , n’était-ce pas là un espoir ?
((Lors de la conférence de presse du 10 octobre à l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale, Michel Barnier a énoncé : « un français sur cinq est concerné par une question de santé mentale, et c’est à eux que nous voulons porter une aide » et a cité quatre objectifs pour cette grande cause nationale 2025 :
–la lutte contre la stigmatisation des maladies psychiques,
–le renforcement de la prévention et du dépistage précoce,
–l’amélioration de la prise en charge des soins non programmés,
–l’intensification des efforts de recherche.
Finalement Michel Barnier a quitté le gouvernement en décembre 2024 (ce fut alors le gouvernement le plus éphémère de la Ve République))
Je vous propose dans un premier temps ce qui a été mon fil, l’histoire, les définitions, et la construction de ce concept de santé mentale. Puis je vous proposerai de nous pencher sur l’idéologie et sur les effets dans le social, notamment cet engouement du côté des usagers. Fréderic Scheffler m’avait demandé de traiter de l’articulation entre santé mentale et psychopathologie. Ce sera la seconde partie de mon propos
Un mot sur le Collège de Psychiatrie, fondé en 2003, à la suite des États généraux de la Psychiatrie à Montpellier, il y a 22 ans dont vous pouvez lire le texte qui est un manifeste :
« Question de responsabilité « sur le site du collège (collègedepsychiatrie.com).Le projet de formation et d’enseignement du Collège de Psychiatrie s’est construit sur cette question de la responsabilité par rapport à ce passage de la psychiatrie vers la santé mentale.
Définition ou présentation
Sur le site de l’organisation mondiale de la santé, l’OMS, on trouve cette présentation de la santé mentale :
« La santé mentale correspond à un état de bien-être mental qui nous permet de faire face aux sources de stress de la vie, de réaliser notre potentiel, de bien apprendre et de bien travailler, et de contribuer à la vie de la communauté. Elle a une valeur en soi et en tant que facteur favorable, et fait partie intégrante de notre bien-être. ».
Pour rappel, l’OMS a été fondée en 1946, c’est l’institution spécialisée des Nations unies chargée de la santé au niveau mondial.
Il est important de rappeler la définition de la santé par l’OMS : « La santé est un état complet de bien-être, physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
C’est une définition en creux par rapport à celle de la folie et la maladie mentale.
C’est une définition qui ne tient compte d’aucune référence qu’elle soit anthropologique , philosophique, ou médicale. (Le silence des organes de Leriche)
Santé vient du latin sanitas qui indiquait la santé, du corps et de l’esprit et la bonne santé jusqu’aux IX et Xe siècle. Nous conservons de cet usage, quelques expressions « avoir de la santé », « avoir une grande santé ou une petite santé ». À Paris, la prison de la Santé porte le nom de la Rue de la santé qui doit elle-même son nom à la maison de santé fondée par Anne d’Autriche en 1651, devenue l’hôpital Sainte- Anne. De la même manière, c’est aussi l’histoire des maisons de santé en vogue au XIX e siècle comme alternatives à l’asile, avec la Maison du Dr Blanche dont Laure Murat a raconté l’histoire dans son livre éponyme. Et la Maison de santé d’Épinay sur seine est également une clinique psychiatrique de la région parisienne où il est encore possible de faire des hospitalisations sous contrainte.
Histoire de la notion/concept de santé mentale
Cela m’a paru très intéressant de reprendre des éléments de l’histoire. La notion de santé mentale n’a pas toujours existé mais elle n’est pas complètement nouvelle, actuelle pour être précise et la connaissance de sa construction nous aide à en comprendre les enjeux.
Au XIXe siècle, on retrouve les maladies mentales. Le référentiel est alors la folie, l’aliénation. Il y a certes déjà une littérature mais très marginale qui concerne des règles d’hygiène comme « The hygiene of the Mind », il s’agit plus de recettes à l’usage des familles, cela s’adresse en tout cas à un cercle privé.
L’émergence du « concept » de santé mentale se situe entre 1940 et 1960. Un historien a suivi la progression des termes de santé mentale et mental health en France et dans les pays anglo- saxons dans l’ensemble des textes sur une base de données pour son travail de recherche.
La santé mentale est un référentiel implicite au début du XXe siècle et devient explicite plus tard, surtout en France. Il est important de souligner que vers 1940 / 1960, la santé mentale devient un champ général à partir duquel s’organisent trois choses : des savoirs et des pratiques et des institutions.
Dans les pays anglo-saxons, on retrouve dès 1908, une Société d’hygiène mentale par exemple aux États-Unis. Le passage se fera de l’hygiène mentale à la santé mentale avec la création mais aussi la requalification d’institution nationales ou internationales vers cette fameuse santé mentale
En 1948, à Londres, le troisième Congrès international d’hygiène mentale devient la Fédération mondiale pour la santé mentale. En 1946, apparait le journal Mental Health .
La même année aux États-Unis est fondée le très renommé National Institute of Mental Health ou NIMH qui existe toujours et où a travaillé Thomas Insel, psychiatre américain et neuro scientifique assez connu en France pour avoir critiqué le DSM5 .
En France, le mouvement de création et de requalification est un peu plus tardif. Ainsi le Comité de liaison pour la santé mentale ainsi que la revue Santé mentale naissent en 1965. Dans les années 50, il y a des dispensaires d’hygiène mentale infantile qui ont un rôle d’accueil des enfants dans l’après-guerre comme centres de dépistage, de prévention avec une idée de prophylaxie. Les DHM, dispensaires d’hygiène mentale adultes, accueillent des
patients souffrant d’alcoolisme non seulement pour les complications psychiatriques mais également pour éviter les complications somatiques avec ce rôle de dépistage et de prévention.
À Paris, on va retrouver l’Association de santé mentale du 13e ou ASM13 qui accueillera le secteur du 13e arrondissement et sera un modèle de fonctionnement du secteur psychiatrique. Il y a également la SPASM ou société parisienne d’aide à la santé mentale, créée en 1959 par Bernard Jolivet, psychiatre et psychanalyste, après l’expérience de la seconde guerre mondiale.
Si l’on voit apparaitre le terme de santé mentale en France durant cette période, il nomme surtout des pratiques de soins en institution et ne devient un référentiel explicite dans les politiques de santé que dans les années 1990.
La guerre avec les morts, les déracinements, les ruptures de liens familiaux va mettre au cœur des réflexions, la question de la santé mentale.
Après la guerre, Il y a un mouvement dit d’ humanisation de la société avec dans le milieu du travail l’apparition des ressources humaines et une volonté d’humanisation des soins qui se traduit dans des pratiques nouvelles avec le souhait de réintégration des patients dans la communauté, le développement d’hôpitaux de jour, de bars , de cinéclubs , clubs , de journaux de service, d’équipes mobiles...
En France, les nombreux morts dans les hôpitaux psychiatriques, morts de faim et de froid entre 1940 et 1944 vont donner lieu à une critique et à une réflexion sur des expériences institutionnelles créatives ( hôpital de Saint -Alban , création des clubs de patients , réflexion sur le travail ..Dr Paul Sivadon )
En Angleterre, John Rees , directeur médical de la Tavistock Clinique et psychiatre en chef dans l’armée anglaise durant la guerre a écrit en 1945 : « The shaping of psychiatry by War. » (La formation de la psychiatrie par la guerre.). C’est un ouvrage qui va compter et illustre les nouveaux horizons pour la psychiatrie avec le repérage de personnes en fonction de leur capacité et de leur fragilité dans le travail de management et de gestion des conflits.
Rees devient le premier président de la Fédération de la santé mentale.
Il y a donc ce rôle patent de l’expérience de la guerre sur les programmes de santé mentale. Les scientifiques et les politiques du monde libre vont se questionner sur les limites de la non- conformité individuelle dans le monde libre, et sur celles de la suradaptation dans le monde totalitaire. Il s’agit de s’adapter mais pas à tout, pas à l’inacceptable.
Aux États-Unis, et en Angleterre, il y a plus précocement un double mouvement de fédération et de régulation étatique de tout un ensemble d’activités et d’institutions hétérogènes. Il est très important de bien saisir ce double mouvement d’instituer le champ de la santé mentale, et de fédérer des acteurs de terrain. Ce double mouvement va persister.
L’avènement de la santé mentale/ santé publique
Les années quatre-vingt-dix voient s’affirmer en France le passage de la lutte contre les maladies mentales à la santé mentale. La circulaire de 1990, complétée par d’autres circulaires, traite désormais de la santé mentale et non plus de la psychiatrie. Elle veut développer une prévention ciblée concernant des situations à risque (personnes âgées, adolescents, patients sans domicile, missions auprès de l’hôpital général, dans les institutions sociales, médico-sociales). Elle fait évoluer le champ de la psychiatrie vers la souffrance existentielle et vers des phénomènes plus généraux (dépression, victimologie) ou plus visibles (toxicomanie, alcoolisme, précarité́).
Le pilotage de l’État (DGS, DHOS, PMSI puis ANAES en 1996 et la décentralisation régionale (ARH) indiquent que la politique de santé mentale dépend de plus en plus d’une régulation technico-gestionnaire soumise à des impératifs budgétaires.
En 1960, 2001, 2013, il y aura des années mondiales de la santé mentale
Dans les années 2000, deux tendances sont à l’œuvre : l’intérêt porté à l’usager et au mouvement associatif, et la problématique des réseaux (réseaux de soins, réseaux ville hôpital ..) . La démocratie sanitaire (consentement libre et éclairé́ du patient, refus du traitement, accès au dossier médical) est une source de division au sein de la psychiatrie. « Le passage du paternalisme médical à une négociation contractuelle est difficile dans cette discipline. « Note Sophie Biarez , une chercheuse dans un travail sur la politique publique de la santé mentale. On y voit l’oubli, la négation de la place particulière du fou et donc celle de la spécificité de la psychiatrie.
En janvier 2005, à Helsinki, 52 états membres de la région européenne de l’OMS, signent la déclaration et le plan d’action sur la santé mentale en Europe :« La santé mentale et le bien- être mental sont des conditions fondamentales à la qualité de la vie, la productivité des individus, des populations et des nations et confèrent un sens à notre existence, tout en leur permettant d’être des citoyens, créatifs et actifs. »
Dans son ouvrage, « La santé mentale vers un bonheur sous contrôle », publié en 2014, Mathieu Belhassen, psychiatre, ancien chef de service devenu lanceur d’alerte, mentionne le livre vert pour la santé mentale qui aboutit en septembre 2006 à une résolution, indiquant ceci : « une bonne santé mentale est la condition de la bonne santé et du bien-être généraux des citoyens européens, mais aussi d’une bonne santé de la situation économique dans l’union européenne ». On ne serait être plus clair du côté d’un discours capitaliste et au-delà néolibéral.
Le droit à la santé fait partie des droits de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948). Et la santé mentale n’est pas un privilège mais un droit humain fondamental qui doit faire partie de la couverture sanitaire universelle, a souligné le Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, en 2023. La santé mentale va devenir un droit inaliénable à la demande de l’ONU faite par le haut-commissariat des droits de l’homme en 2023.
Le champ lexical de la santé mentale va se construire à partir de l’épidémiologie et des données chiffrées pour la mise en place de plans de santé publique et l’on voit fleurir, divers thèmes : santé mentale et suicide ,la santé mentale des jeunes, santé mentale et travail, santé mentale et précarité, la santé mentale des femmes, des enfants...
La déclaration finale de la Conférence régionale sur la santé mentale dans toutes les politiques, qui a eu lieu à Paris, le 16 et 17 juin 2025 a eu pour thèmes « relever les défis et élaborer des solutions communes. « Elle propose de protéger et promouvoir la santé mentale et le bien-être... Comme élément essentiel du bon fonctionnement d’une société et insiste sur « la nécessité d’opérationnaliser, le concept de santé mentale dans toutes les politiques » Sont cités tous les secteurs : agriculture, éducation, culture, défense, emploi, logement, justice, forces de l’ordre, sports, transports, protection sociale,... et des solutions inclusives en collaboration avec le ministère de la santé et de l’accès aux soins.
La visée est énoncée ainsi : « améliorer le bien-être , prévenir les troubles mentaux et promouvoir le rétablissement contribuant ainsi à une société plus résiliente » 17’
Critiques : l’individu adapté, tout le monde est concerné...
La notion de santé mentale reste floue, imprécise, mal délimitée, sans aucune définition, exacte, aucun vrai consensus, avec des critères comme le bonheur, la satisfaction, l’harmonie, le bien-être extrêmement vaporeux. Elle a une prétention universaliste et les acteurs internationaux sont soucieux de se référer à une norme un peu flottante qui ne viendrait pas heurter les normes culturelles.
Je vais développer deux effets ou aspects psycho politiques de la santé mentale.
-L’individu adapté
Vous pouvez entendre que la notion est floue, mais qu’elle n’est pas du tout indéterminée dans ce qu’elle promeut à savoir un individu en développement, adaptable, au service d’une société. Celui qui ne s’adapte pas à l’évolution sociale, peut ressentir insécurité, instabilité et s’exposer à l’anxiété et à la dépression. Pour saisir comment cette histoire d’individu adaptable chemine dans le concept, je vais vous parler de l’importance et de l’influence de John Bowlby. (Cela nous permet de comprendre mieux de quel individu il s’agit.) Bowlby est un médecin psychiatre, psychanalyste, né en 1907 décédé en 1990 qui a travaillé en Angleterre sur l’origine des troubles du comportement chez les enfants et adolescents, londoniens délinquants. Il a découvert dans l’histoire de ces enfants, une rupture prolongée entre la mère et l’enfant et construit sa théorie de l’attachement, basée sur cette observation : l’instinct qui conduit le nouveau-né à solliciter la mère n’est pas une recherche de nourriture, mais une quête de protection. Il a été très critiqué par Mélanie Klein, qui était sa psychanalyste et sa superviseuse mais il influencera Konrad Lorenz et les éthologues. En 1950, l’OMS a sollicité auprès de Bowlby, un rapport sur la manière de faire face aux 15 à 16 millions d’orphelins européens qui, dans l’après-guerre, souffrent de troubles du comportement. Ce rapport rendu en 1951 est traduit en 14 langues et sera vendu en 400 000 exemplaires, un véritable succès . Les travaux de Bowlby seront repris en France par René Zazzo dans les années 60 mais également beaucoup plus récemment dans le rapport de la Commission des 1000 premiers jours de l’enfant, lancé par Emmanuel Macron en septembre 2020 et présidé par le psychiatre, Boris Cyrulnick avec 18 spécialistes. Dans ce rapport soucieux de la santé des plus jeunes, il est notamment rappelé l’importance du langage, du fait qu’il faut parler aux enfants, mais c’est du langage comme outil pédagogique pour apprendre du vocabulaire dont il s’agit.
-« Tout le monde est concerné » comment l’entendre ?
En déplaçant le référentiel de la maladie mentale vers la santé mentale est induit un déplacement considérable des objets et des acteurs.
Du côté des objets , il y a donc la prévention ,le dépistage précoce, le déplacement de la fonction de l’hôpital qui n’est plus l’asile , mais devient un lieu transitoire de traitement de la crise où il s’agira de ne pas isoler trop longtemps le patient usager pour ne pas rompre ses liens avec la cité ou plutôt avec la communauté.
Du côté des acteurs, il y a le caractère illimité de la santé mentale au sens où elle va pouvoir être introduite dans les activités et les milieux les plus divers : la famille, l’école, l’entreprise, le tribunal, les transports, le sport etc. tout le monde peut être affecté. Tout le monde est susceptible d’être interrogé par la question de la santé mentale.
Désormais, il faudra se demander dans quelle mesure en agissant comme j’agis, je ne nuis pas à la santé mentale des personnes, des individus avec qui j’interagis.
Cela induit ou plutôt indique des changements du lien social.
Petits exemples de psychopathologie de la vie quotidienne, de santé mentale et vie quotidienne :
Un enfant brise un objet dans une boutique. Auparavant l’enfant était grondé et la mère s’excusait et proposait de rembourser l’objet. Aujourd’hui, la mère se plaint qu’on l’a laissée repartir alors qu’elle était trop bouleversée pour ramener son enfant à la maison et conduire sa voiture.
Un père se plaint à moi qu’à l’école, son fils, sensible et dyslexique a une institutrice qui n’est pas formée à la dyslexie. Je fais remarquer à ce père qui a du mal à poser quelques bornes à cet enfant, que l’enseignante est formée à la transmission d’un savoir. Il n’est pas convaincu.
La constitution d’organisations internationales comme l’Unesco, et surtout l’OMS va servir de relais considérables sur les thématiques de la santé mentale en insistant sur la nécessité de ne pas limiter les dispositifs sanitaires au traitement des maladies mentales, mais de développer la prévention et l’amélioration de cette santé entendue comme état complet de bien-être, physique, mental et social
Le rapport Piel- Roeland
Il faut rappeler aux plus jeunes quelques éléments du rapport dit Piel et Roeland de 2001, intitulé « De la psychiatrie vers la santé mentale « qui marque un virage ou plutôt une rupture.
Un numéro du journal français de psychiatrie, JFP numéro 19 avril 2004, intitulé « : Destruction de la psychiatrie, disparition du citoyen. ». coordonné par Marcel Czermack et Thierry Jean rassemble des articles très intéressants dont celui de notre collègue
Nicole Anquetil , avec le titre « Évolution psychiatrique « qui reprend les refontes administratives des formations aux métiers de la psychiatrie( internat, infirmier psychiatrique..), la transformation des asiles, la montée en puissance du DSM, la modification de la loi de 1838, l’abolition de l’article 64.
Je me permets de vous citer un morceau du rapport Piel -Roland pour vous en indiquer la teneur :
« Les champs social et médico - social doivent prendre leur responsabilité pour le volet social de la trajectoire de ces personnes (il s’agit des patients psychotiques), et les professionnels de la psychiatrie doivent, après élaboration de projets personnalisés, passer progressivement la main aux acteurs sociaux et ce de plus en plus complètement pour la plupart des personnes. Cela suppose que l’on cesse parfois de considérer qu’une personne présentant des troubles mentaux est totalement identifiée à ses troubles mentaux. Un psychotique par exemple est une personne présentant des troubles mentaux de la série psychotique de même une personne diabétique ne peut se réduire à ses troubles insuliniques « (page 53, JFP)
Vous entendez le tour de passe-passe avec la définition de la santé mentale qui sépare d’un côté la personne avec ses problèmes sociaux et de l’autre, des troubles psychiatriques sans personne sans la question de ce qui les détermine dans le champ du social. Il s’agit de médicaliser les troubles et de faire de la psychiatrie une spécialité médicale comme une autre mais il s’agit aussi de traiter la personne dans le social. On observera le passage du champ de la psychiatrie au champ des problèmes sociaux avec tout ce qui va s’appeler la lutte contre la précarité, et les effets difficiles pour les travailleurs sociaux dans la rencontre avec la folie.
Tout phénomène d’exclusion de la folie n’est plus structural, n’est plus lu comme un fait de structure de la folie, mais expliqué par la stigmatisation des troubles mentaux, d’où l’importance de la vague de déstigmatisation de la folie, des troubles psychiques, mais réduite à une correction d’une mauvaise image et à une injonction à parler, à révéler ses difficultés en santé mentale. Je parlerai de l’importance donnée au témoignage sous la forme de livres, de podcast... Il y a une négation de l’exclusion structurale de la folie. Le statut d’exception du fou a disparu. Les fous sont punis, emprisonnés comme les autres. Vous vous * souvenez de la phrase, « la santé mentale nous concerne tous » elle est aussi à entendre avec tout cela. Considérer que le fou est un citoyen comme un autre ne va pas sans un déni de la pathologie qui n’est plus qu’une circonstance particulière (confer Nicole Anquetil)
La santé mentale, une santé sans sujet ?
La santé mentale au service de quoi ?
Et bien , l’expansion du terme santé mentale, sa substitution à celui de psychiatrie vient servir conjointement les impératifs économiques du marché, sous couvert de la science ( un individu adapté et adaptable, performant) et les logiques contestataires ( du biopouvoir , de la répression psychiatrique) sous couvert d’un droit à la santé mentale pour tous.
Je ne résiste pas à vous les lire les mots vifs comme souvent de Marcel Czermack , dans ce même numéro du J.FP: « comment faire disparaître les maladies, les malades et les praticiens avec à l’horizon l’idéal d’une société propre? «
((Les différents modèles en santé mentale et la santé publique
Le modèle le plus élaboré est celui de Kovess -Masfety et collaborateurs (2010 ) qui propose trois dimensions de la santé mentale :
–Les troubles mentaux se référant à des classifications psychiatriques,
–la détresse psychologique ou souffrance psychique, état de mal-être, avec des symptômes qui ne renvoient pas à un diagnostic psychiatrique (réactionnels par exemple) ,
–La santé mentale positive qui est un état de bien-être, un sentiment de bonheur et ou de réalisation de soi, des caractéristiques de personnalité( capacité de faire face aux difficultés, optimisme, résilience, estime de soi, impression de maîtriser sa vie). C’est donc un état positif d’équilibre et d’harmonie.
Dans ce modèle, la maladie mentale et la santé mentale ne sont pas mutuellement exclusives. Ceci nous intéresse, car selon les auteurs : « suivant cette terminologie, un individu présentant un trouble mental sévère avec un traitement médical adapté peut manifester une bonne santé mentale ». Le contraire de la santé mentale positive n’est pas la maladie mentale en tant que telle mais la détresse...
Le Pr Viviane Kovess-Masfety est une psychiatre épidémiologiste reconnue qui travaille pour Santé Publique France, a travaillé pour l’ANAES, l’ARS, la MGEN . Elle explique très bien le souci politique pour la santé publique, de communiquer sur la bonne utilisation des ressources en psychiatrie et des actions de prévention pour la bonne santé mentale. Cela s’appelle « une approche graduée des soins « Le Professeur Kovess nous explique qu’il faut répartir les problématiques liées à la santé mentale selon le niveau de soins nécessaires: « tout en préservant les soins psychiatriques , en réservant les soins psychiatriques aux problématiques les plus sévères, Il faut former à la psychologie les intervenants de l’enfance pour les troubles légers et modérés, afin qu’ils puissent repérer les signes avant-coureurs chez les plus jeunes. »
Si vous avez un peu de temps et de curiosité, je vous engage à lire les détails de la commission étudiant la santé mentale des jeunes. ))((Nous voyons comment la santé mentale n’est supportée par aucune théorie, mais par un enjeu idéologique avec un effacement de la psychiatrie, qu’elle recouvre dans un flou sémantique qui sert les politiques de santé, et ceux qui résistent, qui ne guérissent pas avec les médicaments à savoir les patients psychotiques ,rencontreront des psychiatres lors de moments de crise , le reste du temps leurs soins consisteront en actions de prévention , de dépistage, de remédiation , de réhabilitation .))
Avec la santé mentale : podcast et premiers secours, un succès auprès des usagers
J’ai été très surprise de découvrir ce qui accompagne la santé mentale aujourd’hui.
Tout d’abord il y a les premiers secours en santé mentale, les PSSM sur le modèle des premiers secours en santé pour les secours aux victimes. Cela consiste en une formation de deux journées proposée à tout le monde pour réaliser, réagir et intervenir dans son milieu amical, familial, professionnel....Les « secouristes « ainsi formés peuvent secourir ceux qui deviendront les « secourus «
Les secouristes sont formés à la méthode AERER ( acronyme pour approcher, écouter, réconforter, encourager et renseigner)
Il s’agit de n’être jamais dans le jugement, de ne pas stigmatiser , de passer le relais, de proposer le numéro national gratuit 31 14 et de poser la question « de quoi aurais-tu besoin ? « Et de « ne pas pousser à des solutions qui ne sont pas celles du secouru «. C’est donc un ensemble de clés de compréhension, plan d’action et cela va avec le rétablissement, la pair - aidance, la réhabilitation psychosociale, la remédiation cognitive, la psychoéducation, l’entraînement aux compétences sociales.
Cela constitue un ensemble de techniques (par ex cohérence cardiaque) et de réponses standardisées, et c’est à ce titre qu’il faut s’interroger sur le succès de cette formation auprès de travailleurs sociaux, d’infirmiers, de psychothérapeutes, de médecins.
Par ailleurs, il existe de multiples podcasts consacrés à la santé mentale : ils ont pour noms : Vide ton sac, Les mots bleus, Apprendre à aider, Folie douce, La Perche, Encore heureux, la Zone grise...
On y parle beaucoup de la déconstruction de la stigmatisation de la maladie mentale et à ce titre, la parole est amenée appeler à se libérer dans une révélation de l’intime. Ce n’est pas une parole adressée mais une parole à la cantonade. Et cela fait partie de cette suggestion insistante de révéler au grand jour, ses difficultés en négligeant, les effets d’angoisse, possiblement engendrés par de telles injonctions.
De la même manière, le succès de l’ouvrage de Nicolas Demorand, « Intérieur Nuit », s’appuie sur cet aspect de révélation de sa bipolarité et d’adresse à tous. Le journaliste décrit l’effet de soulagement provoqué pour lui-même par son geste d’écriture. C’est un ouvrage bien construit et qui a le mérite de défendre l’hôpital publique. Le livre d’Adèle Yon, chercheuse et normalienne « Mon vrai nom est Élisabeth « est le récit élégant, précis et documenté dénonçant à juste titre les lobotomies subies par une arrière grand -mère qui n’était cependant sans doute pas qu’une femme excentrique. Un succès littéraire inattendu qui témoigne de l’intérêt pour la question de la santé mentale.
((Il y a également parmi ces usagers de la santé mentale des usagers, regroupés en communauté d’usagers comme les communautés de minorités (les neuro atypiques par exemple) qui peuvent récuser les aides des professionnels de la psychiatrie, ou les réduire à la nécessité de validation du diagnostic. Un autre effet du passage à la santé mentale))
Santé mentale et psychopathologie
Qui donc est en bonne santé mentale ?
Cette question m’est venue à force de lire les objectifs psycho politiques de la santé mentale et bien la réponse surprend un peu mais je vous la livre : c’est le président Schreber.
C’est le président Schreber, non pas seulement, parce qu’il se proclame sain d’esprit du fait qu’il raisonne. Dans le séminaire III, dans la leçon du 7 décembre 1955, Lacan dit ceci : « nous essaierons de comprendre ce qui se passe chez Schreber, le délirant, parvenu à l’épanouissement complet, le délirant, parfaitement adapté en fin de compte, car c’est cela qui caractérise le cas Schreber, il n’a jamais cessé de débloquer à pleins tuyaux, mais quand même, il s’était si bien adapté que le directeur de la maison de santé disait : « il est tellement gentil ». Nous avons de la chance d’avoir là un homme qui nous communique tout le système (page 103, édition ALI et page 68, édition du Seuil) et Lacan précise : « nous allons tâcher à l’intérieur de cela de voir ce qui se passe, de voir comment l’affaire est pleinement développée : vous verrez comment se modifient les différents éléments d’un système construit en fonction des coordonnées du langage... C’est peut-être ce qui permettra de reconstruire efficacement la dynamique du cas »
Alors je proposerai cela pour articuler santé mentale et psychopathologie. Du côté de la santé mentale, le délirant, parfaitement adapté, tellement gentil pour le directeur de la maison de santé, et du côté psychopathologie, « voir comment l’affaire est pleinement développée », « en fonction des coordonnées du langage ». Lacan va lire le texte de Schreber et celui de Freud sur Schreber, suivre le discours de Schreber, discours qui n’est pas sans participer au discours commun, car c’est dans le discours commun que Schreber s’expose pour nous expliquer ce qui lui est arrivé, ce qui dure encore d’un mode de relation au monde que nous allons considérer comme réel.( p 107 ) . Lacan ajoute « nous nous demandons jusqu’où, nous pourrons aller dans le discours du sujet et ce que nous permettra de définir, d’approcher les mécanismes constituant de la psychose » (p 108)
Pour la santé mentale, j’ai envie de dire que le directeur suffit, mais pour la clinique et la psychopathologie, il faut un praticien, un clinicien qui fasse d’une certaine façon partie ou soit partie prenante du tableau comme lecteur. Si l’on situe la psychopathologie avec cette fonction précise d’élaborer une observation psychiatrique en théorie de la connaissance du fait psychiatrique, nous avons là avec Lacan quelque chose de nouveau, l’humain avec le langage, l’humain est dans un bain de langage et cela décale la vie humaine. Lacan dira le parlêtre. C’est une dimension du sujet qui n’est plus un cerveau, n’est plus un simple individu dans une masse en interaction sociale ou l’individu de la santé mentale, mais un homme avec son histoire, son vécu psychique, son intime, sa construction dans le langage.
Vous avez peut-être lu l’ouvrage de François Gonon sur les neurosciences : « Neurosciences, un discours néolibéral, (psychiatrie, éducation, inégalités)
Il y présente un examen critique très rigoureux du discours des neurosciences, analyse l’effet de double discours, l’écart entre le discours triomphant des médias et la réalité effective des avancées scientifiques et la rhétorique de la promesse dans le domaine de la recherche . Enfin, il pointe l’arrêt des recherches sur les médicaments psychotropes. Le discours des neurosciences sert le discours néolibéral.
Les notions discutables du bien-être et de la santé mentale, s’accordent tout à fait avec cette vision de l’individu comptable, adapté, adaptable au travail et bon consommateur. Sans aucune place pour la réalité psychique ni l’histoire de chacun, c’est la psychopathologie qui se trouve évacuée.
Bernard Golse, pédopsychiatre, psychanalyste, qui a rédigé la postface du livre de François Gonon propose de faire de la psychopathologie une force de résistance, une démarche militante. Cela nous intéresse.
Peut -on reprocher à un mode de connaissance scientifique, les neurosciences d’ignorer une partie de la réalité ?
Reprenons les choses autrement. Au fond, il m’a semblé que ces débats reprenaient une autre question, celle des liens entre psychanalyse et psychiatrie à l’époque du développement de la psycho pharmacologie, des approches comportementalistes, cognitives, systémiques. Quelle place pour la parole du psychiatre ?
Claude Dumézil formulait cela joliment: « il ne manquerait plus que la psychiatrie de demain, en un repli suicidaire, évacue aussi de son champ un siècle de recherche freudienne si vivante dans notre pays, que l’histoire de la psychanalyse et celle de la psychiatrie en France ont été intimement, mêlées » (dans Psychanalyse et psychiatrie, Ères , 2001 , p 9 )
Alors si la santé mentale recouvre , va recouvrir la psychiatrie, la faire disparaître , lui laissant peut-être la part gestionnaire de la folie, la part avec les fous mais avec la contention et les médicaments, cela peut être , peut devenir un changement radical qui n’est pas d’aujourd’hui et qui nous décale. Comment ceux qui pratiquent la psychiatrie se trouvent ainsi déplacés dans leurs fonctions de praticien ? C’est au fond, la question qui m’a intéressée. Comment la médecine est déplacée, décalée par la science ?
En 1966, le 16 février 1966, Lacan fait une intervention au collège de médecine de la Salpêtrière, l’intervention faite a été retranscrite, strictement sous le titre
Psychanalyse et médecine (Interventions de Jacques Lacan, extrait des lettres de l’école freudienne de Paris. Éditions Ali)
Il part de la place de la psychanalyse dans la médecine comme extra -territoriale, non pas du fait de la médecine qui considérerait la psychanalyse comme un ajout, un appoint, mais extra - territoriale du fait des psychanalystes eux-mêmes, qui ont leurs raisons, dit-il. Il propose de considérer le changement dans la fonction du médecin, un changement très rapide et récent. Il insiste là-dessus. Cette conférence a lieu dans un service de médecine où Ginette Rimbaud travaille comme chercheur et psychanalyste sur la relation médecin- malade, c’est Jenny Aubry qui coordonne la conférence.
((« C’est dans la mesure où les exigences sociales sont conditionnées par l’apparition d’un homme servant les conditions d’un monde scientifique, que, nanti de pouvoirs nouveaux d’investigation et de recherche, le médecin se trouve affronté à des problèmes nouveaux. Je veux dire que le médecin n’a plus rien de privilégié dans l’ordre de cette équipe de savants diversement spécialisés dans les différentes branches scientifiques. C’est de l’extérieur de sa fonction nommément dans l’organisation industrielle que lui sont fournis les moyens en même temps que les questions pour introduire les mesures de contrôle quantitatif , les graphiques, les échelles, les données statistiques »( p 15 ))
Lacan précise :« le médecin est requis dans la fonction du savant physiologiste, mais il subit d’autres appels encore : le monde scientifique, déverse entre ses mains, le nombre infini de ce qu’il peut produire comme agents thérapeutiques nouveaux chimiques ou biologiques , qu’il met à la disposition du public, et il demande au médecin comme à un agent distributeur de les mettre à l’épreuve ». Lacan formule la question : « Où est la limite où le médecin doit agir et ce à quoi il doit répondre ? ».
Et ce qui suit nous intéresse tout à fait.
Je cite à nouveau Lacan « je dirais que c’est dans la mesure de ce glissement, de cette évolution qui change la position du médecin au regard de ceux qui s’adressent à lui que vient à s’ individualiser, à se spécifier, à se mettre rétroactivement en valeur ce qu’il y a d’original dans cette demande au médecin » ( p 15 ) .Lacan évoque l’OMS et le droit à la santé, et questionne, la position du médecin, la position proprement médicale face au pouvoir de la science.
« Dans la mesure où le registre du rapport médical à la santé, se modifie, où cette sorte de pouvoir généralisé qu’est le pouvoir de la science, donne à tous la possibilité de venir demander au médecin son ticket de bienfait dans un but précis, immédiat nous voyons se dessiner l’originalité d’une dimension que j’appelle la demande » ( page 16.)
Lacan va situer dans le registre du mode de réponse à la demande du malade, la chance de survie de la position proprement médicale ( à ne pas entendre comme la position du petit Docteur ) . Il propose deux axes pour se repérer deux axes développés, élaborés par la psychanalyse :
–la demande avec la dimension du désir, désir de savoir
– et la jouissance du corps.
Rappelons que Freud a inventé ce qui devait répondre à la subversion de la position du médecin par la montée de la science, la psychanalyse comme praxis.
Lacan va insister sur cette position (que peut occuper le psychanalyste ): ++« actuellement c’est la seule d’où le médecin puisse maintenir l’originalité de toujours de sa position, c’est-à- dire de celui qui a à répondre à une demande de savoir »( p 20)
Une précision de Lacan « qu’il le veuille ou non, le médecin est intégré à ce mouvement mondial de l’organisation d’une santé qui devient publique et de ce fait de nouvelles questions seront posées « ( p 20 ) et il ne s’agirait pas de se protéger derrière le caractère privé du secret professionnel. « si le médecin doit rester quelque chose qui ne saurait être l’héritage de son antique fonction qui était une fonction sacrée, c’est pour moi, à poursuivre et à maintenir dans sa vie propre la découverte de Freud « ( p 21 )
Ni le caractère privé du cabinet
Ni la fonction antique sacrée du médecin
Mais l’éthique du bien-dire comme réponse à la demande et au désir
Cela me paraît être une réponse à la question de la santé mentale publique et de la psychopathologie, c’est en ce point de la position du médecin qui est au fond de la position de celui qui écoute que nous pourrions nous tenir, c’est l’ouverture proposée par Lacan il y a 60 ans, cela me paraît être un point de départ pour creuser nos questions .
Cette conférence a beaucoup choqué un médecin du service qui a évoqué un traquenard , qui s’est senti traité de distributeur de médicaments et a pensé que Lacan voulait remplacer les médecins par les psychanalystes...
Un autre point : Souffrance, symptôme
La définition même, la description de la santé mentale avec cette insistance sur le bien-être total n’est pas sans évoquer l’absence de tension, une version du « zéro (de) tension ». Selon le principe de plaisir de Freud, cette finalité du niveau le plus bas de tension renvoie au but de la pulsion de mort, l’objet de la pulsion de mort étant le retour à l’état inorganique, à l’inanimé de la matière. Rappelons-nous l’énoncé de Freud : « le but de toute vie est la mort en remontant en arrière, le non vivant était là avant le vivant. »
Avec Au-delà du principe de plaisir en 1920, à l’aune de la Première Guerre mondiale, Freud remanie sa théorie. Freud évoque un minimum de tension, une évacuation des tensions sources de souffrance qui n’est jamais complète car il faut, dit-il, qu’il en reste un peu pour se maintenir en vie. La pathologie, la souffrance est inhérente à la vie. Or, il y a dans la définition même de la santé mentale, un appel manifeste à l’homéostasie, à l’inertie, à l’atonie, qui est mortifère. Une relecture du Meilleur des mondes, dystopie écrite en 1932, par Adlous Huxley est à ce titre tout à fait enseignante.
Ce qui a disparu avec cette vague de la santé mentale, c’est la place que l’on fait au symptôme. Or, on ne peut concevoir l’être humain sans la dimension de la faille, du désordre, du ratage comme une composante de toute parole, de tout lien, de toute action.
Les cliniques du retrait, l’épidémie de non-confrontation que nous rencontrons aujourd’hui chez beaucoup de jeunes gens doivent nous rendre particulièrement sensibles à la dimension mortifère contenue dans cette définition de la santé mentale prescrite à tous, incluant la mort du désir. Je pense à un jeune homme venu me rencontrer à la demande de ses parents car il avait arrêté ses études brutalement, s’était replié dans sa chambre avec des jeux vidéo. Il se tenait avec un programme lisse et normé dans tous ses liens sociaux : ne pas déranger, ne pas dépenser, ne pas dépasser. Il avait eu au départ une crise d’angoisse massive pendant un cours. C’est à partir de cette crise d’angoisse qu’il a pu venir me parler en posant cette condition : venir s’il pouvait arrêter de venir. J’ai accepté, (j’ai seulement dit « venez comme vous êtes »), il a pu se loger subjectivement dans cette condition, cette articulation de l’action et de l’arrêt : il a été à la salle de sport avec un abonnement libre et repris des études autres à la condition de pouvoir les arrêter.
Je n’ai jamais nommé ni un Hikikomori, ni une phobie sociale, ni un RSA (refus scolaire anxieux) la dernière étiquette pour les adolescents. Je me suis rappelée de la souffrance, la lettre en souffrance de La lettre volée, et de la nécessité d’une adresse.
Quelle est notre responsabilité ?
Responsabilité, responsabilité. Lacan formule dans son séminaire sur Joyce, un petit jeu de mots là-dessus, responsabilité, respons hability comme une habilité de notre réponse. Nous sommes responsables de notre réponse comme analyste mais aussi de notre position à tenir pour élaborer une psychopathologie au cas par cas comme praticien.
Cela implique une autre responsabilité, une attention au cadre de travail dans nos institutions, chacun ayant à se déterminer.
Je vous raconte une petite histoire. Il y a 10 ans, je travaillais à l’Élan retrouvé comme chef de service des consultations avec une unité de psychothérapie et psychopathologie du travail. Un jour, j’ai reçu un appel téléphonique d’un ministère, c’était un médecin du travail, elle était débordée et voulait payer des tickets -psy à l’avance pour des lots de salariés du ministère. Elle me demandait de surcroît en échange du paiement à l’avance pour je ne sais plus combien de consultations mensuelles, un compte rendu à lui adresser pour chaque consultation, c’était sa demande dans le cadre d’une mission de surveillance de la santé mentale des salariés de ce ministère car le ministère licenciait, les salariés allaient mal ...
Un peu estomaquée par la teneur et l’agressivité de son propos, je lui ai quand même répondu tout de suite : Non, étant donné l’état de l’art (art de la médecine, de la psychiatrie), pas de traitement de masse.
J’ai poursuivi :
-que nous ne recevions pas de « lot » de salariés,
-que nous ne vendions pas de tickets psy,
-que nous recevions au cas par cas les personnes qui s’adressent elles-mêmes
-que la consultation de psychiatrie n’était pas un examen complémentaire et sur laquelle nous ne faisions pas de compte -rendu,
-qu’elle pouvait confier les coordonnées aux salariés qu’elle recevait, salariés qui décideraient de s’adresser dans le service.
-qu’il s’agissait de psychopathologie ...
J’ai ensuite appris qu’elle avait également appelé le service de comptabilité, expliquant que je n’avais pas bien compris les chiffres ...
Passé l’indignation, je me suis étonnée de l’envie de ce médecin d’adresser tous ces salariés à un psychiatre alors je l’ai appelée et je lui ai fait part de ma question et d’une idée. Peut-être pourrait-elle s’adjoindre l’aide et la collaboration d’un psychologue du travail avec qui elle pourrait revoir, recevoir ces personnes. Qu’en pensait - elle ? Elle allait réfléchir.
Alors la santé mentale au risque de la psychopathologie, ce titre est venu simplifier ma perspective de départ, celle d’une articulation entre la santé mentale et la psychopathologie. Il me semblait qu’il y avait aucune articulation, qu’il s’agissait de deux choses totalement hétérogènes et que leur intersection était justement l’ensemble vide. S’agit-il d’une
exclusion ?
La santé mentale comme politique de santé vient contredire la psychopathologie. Cela me parait plus juste de le dire comme cela.
Ce n’est pas une théorie de la psyché, c’est une politique, une idéologie nous l’avons vu. C’est une santé sans sujet. Et la psychopathologie n’est pas une politique. C’est une lecture de la clinique ou une relecture avec un outillage théorique de la psyché.
Si je prends l’exemple du deuil par exemple. Dans le champ santé mentale, le DSM 5R a introduit récemment une nouvelle pathologie : « le deuil prolongé », en 2022, dans le contexte qui a suivi les nombreux décès liés au Covid. C’est un état survenant au moins six mois pour un enfant, et au moins 12 mois pour un adulte après le décès d’un proche, c’est un état de préoccupations très importantes concernant le défunt, de détresse , avec une altération du fonctionnement qui entraîne un préjudice important dans la vie quotidienne voire une impossibilité de travailler , c’est un préjudice qui peut être indemnisé, le diagnostic se fait avec une liste de critères que peut remplir l’observateur (Voir un jour proche une IA, je renvoie à une étude sur l’acceptabilité par les praticiens de l’IA pour l’aide dans leur travail que Patrick Landman a fait suivre pour lecture )
Ce deuil prolongé n’a rien à voir avec ce qu’en psychiatrie, on appelle depuis longtemps un deuil pathologique qui est un tableau clinique assez repérable organisé autour de la présence d’idées délirantes, d’idées suicidaires dans une période de deuil.
Si je reprends la question du deuil, je peux enfin m’inscrire du côté de Freud, de la psychopathologie et reprendre ce que Freud a développé en partant de son idée. L’idée de Freud était de tenter d’éclairer l’essence de la mélancolie en la comparant à l’affect normal du deuil. Et vous savez comment dans « Deuil et mélancolie » Freud va dire, on sait qui Monsieur untel a perdu, il sait qui il a perdu, mais il ne sait pas ce qu’il a perdu en perdant cette personne, c’est ce « ce « que Lacan reprendra comme l’objet a, voir l’abject dans la mélancolie. Cela m’emmène à la dynamique du cas, la compréhension des mécanismes. Dans la rencontre avec une personne, un patient, on peut écouter, travailler, s’appuyer sur les repères de la psychopathologie. Cela relève de notre décision, de notre responsabilité (à nouveau j’use de ce terme) de ne pas nous cacher derrière des échelles, des grilles pour recevoir quelqu’un. C’est aussi un engagement, il est important de maintenir dans cet engagement, un travail, un désir de comprendre, de poursuivre une réflexion à plusieurs, en lisant, en travaillant en institution.
Je terminerai sur cette idée de la contradiction. Si la santé mentale est en contradiction avec la psychopathologie, peut-être faut-il partir de cette contradiction, la maintenir ouverte, la repérer et ne pas confondre santé mentale et psychiatrie, psychopathologie, comme le propose ce glissement, cet usage extensif du terme de santé mentale à la place de psychiatrie, en place de psychiatrie. Cela nous invite à une vigilance quant aux mots, à une précision attentive. Faire attention à notre langage serait la moindre des choses.
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Murat L., La maison du docteur Blanche. Histoire d’un asile et de ses pensionnaires, de Nerval à Maupassant, 2001, réédition Gallimard Folio.
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Yon A., Mon vrai nom est Élisabeth, Éditions du sous-sol, 2025

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